DE L’AMIANTE DANS L’EAU DU ROBINET? SELON DES CHERCHEURS, LE RISQUE DE CANCER EXISTE

Sud-Ouest – le 16/05/2017 :

EAU ROBINET

En Italie, dans la région de la Toscane, des concentrations de 700 000 fibres par litre ont été constatées dans l’eau potable. Aucune mesure de ce type n’a encore été effectuée en France

En France, une partie des canalisations sont en fibrociment. Faut-il s’inquiéter ?

C’est une étude qui est passée quasiment inaperçue. Et pourtant, ses conclusions pourraient contraindre les pouvoirs publics à investir des sommes colossales pour éviter un nouveau scandale sanitaire. L’amiante, qu’on savait cancerogène en cas d’inhalation, aggraverait également les risques de maladie en cas d’ingestion. Or, en France comme un peu partout dans le monde, l’eau du robinet transite potentiellement par des canalisations en fibrociment, un matériau aussi appelé amiante-ciment.

En mars dernier, les scientifiques de l’hôpital de Bisceglie, en Italie, ont publié leurs résultats dans la revue « Epidemiologia & Prevenzione« . Jusqu’alors, aucune recherche n’était parvenue à établir de corrélation entre l’amiante ingérée et le développement de cancers. « Il est très improbable que l’amiante émis par les conduits en amiante-ciment soit relié au développement du cancer » avait par exemple écrit un chercheur dans le « Journal of the Royal College of Physicians of London« , en 1988.

Cancer gastro-intestinal et colorectal

Dans leur étude intitulée « Ingestion d’amiante et cancer gastro-intestinal : un danger possible sous-estimé », les médecins de Bisceglie ont découvert que l’amiante ingéré aurait des effets nocifs sur des organes tels l’estomac, le côlon, le foie et même le placenta. Les risques de cancers gastriques et colorectaux seraient donc réels, proportionnellement à la quantité de fibres ingérées. Or, des mesures ont révélé des concentrations parfois ahurissantes de fibres d’amiante dans l’eau du robinet en Toscane, jusqu’à 700 000 fibres par litre.

Pascal Humeau, fondateur de la société Conseil et Formation Amiante basée à Lyon, ne s’est pas montré particulièrement surpris par les conclusions de l’étude italienne. « Nous nous sommes toujours inquiétés du risque pathogène de l’amiante ingérée. Dans les années 80, des recherches canadiennes avaient conclu qu’il n’y avait aucun danger. Mais il ne faut pas oublier qu’il s’agissait d’un pays où le lobbying pour l’amiante était important. »

Reste à connaître le seuil de dangerosité, c’est-à-dire la limite maximum tolérable de fibres d’amiante dans l’eau potable. « N’oublions pas que pour l’amiante inhalée, une seule fibre peut suffire à déclencher certaines maladies », rappelle son collègue Thierry Dufour. Or, les plus petites fibres mesurent 0,02 microns. Elle sont indétectables sans analyse scientifique poussée.

Près de 35 000 kilomètres de canalisations en amiante

En France, le réseau de distribution d’eau potable compose un linaire de plus de 800 000 kilomètres. Une grosse moitié de ces canalisations ont plus de trente ans, et 10% ont même dépassé les 50 ans. L’ennui, c’est qu’environ 4% de ce réseau vétuste est constitué de tuyaux en amiante-ciment, ce qui représente entre 32 000 et 35 000 kilomètres.

Les tuyaux en fibrociment ont été assez largement utilisés pour l’adduction en eau potable jusqu’au milieu des années 80, l’amiante ayant été interdite à partir de 1997, « avec des dérogations jusqu’en 2003, excepté dans le BTP », ajoute Pascal Humeau.

On imagine ainsi l’altération des tuyaux, par l’effet d’une érosion mécanique libérant des fibres dans le réseau. « L’amiante n’est pas un matériau éternel », insiste Thierry Dufour, citant notamment les toitures en fibrociment, qui se détériorent avec les intempéries et les pollutions, et qu’il est nécessaire de remplacer à terme.

Ce qui est déjà coûteux en surface l’est encore plus en sous-sol, les canalisations étant toujours enterrées. Le chantier de remplacement du réseau défectueux pourrait ainsi présenter un coût exorbitant. On parle-là de plusieurs milliards d’euros. 

Des collectivités peu informées

« Le problème, c’est que les collectivités ne sont bien souvent même pas au courant que leurs adductions en eau potable sont en amiante », fait remarquer Pascal Humeau. « Bien souvent, les dossiers techniques n’ont pas été bien tenus et il existe très peu de traçabilité. Le seul moyen de savoir si une canalisation est en amiante est de réaliser des prélèvements sur les tuyaux, ou éventuellement de retrouver un marquage Eternit (producteur numéro 1 d’amiante-ciment jusqu’à son interdiction, NDLR) ».

En revanche, nul n’ignore que l’amiante-ciment a été largement utilisé dans les réseaux d’évacuation des eaux usées. La question qui se pose alors est la suivante : les fibres présentes dans l’eau sont-elles éliminées de manière efficace par les stations d’épuration ou bien sont-elles remises en circulation dans le réseau d’adduction en eau potable ?

Le scandale sanitaire de l’amiante n’a peut-être pas encore livré tous ses secrets.

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