MORT (LENTE) DE PAPILLON – le 25 juillet 2004

Publié par Baudouin de Menten le 25 juil 2004 |

Les Pyrénées ont perdu leur patriarche cet été. Papillon, le vieil ours béarnais, est mort le 25 juillet 2004.

Cet ours était tout un symbole. Agé d’environ 30 ans, il était l’un des tous derniers ours de souche pyrénéenne, le plus connu des naturalistes oursologues. Il ne reste plus aujourd’hui que deux représentants (peut-être trois) de cette lignée : Cannelle, vieille femelle qui aurait été aperçue fin août avec un ourson, et Camille, un mâle.

Le Béarn (Pyrénées-Atlantiques), qui fut le dernier refuge des ours en France, risque bien de voir leur disparition dans les années à venir. Il ne reste plus aujourd’hui que trois ou quatre ours pour cette vaste région. Les deux ours autochtones, un ourson (probable), et Néré, jeune mâle issu des réintroductions en Pyrénées centrales qui les y a rejoint il y a deux ans. Ce constat est à lui seul le triste bilan de la politique ursine des pouvoirs publics : absence de volonté de l’Etat et cynisme des élus locaux réunis autour de l’IPHB (Institution Patrimoniale du Haut Béarn), qui depuis des années « gère » le dossier ours dans cette région d’exception.

Si l’ours est au coeur de la charte qui unit l’Etat à cet organisme, nous ne pouvons que constater qu’il n’est en fait que l’alibi pour canaliser de larges flux financiers (Etat et Europe), alors qu’en retour moins de 2% des 9 millions d’Euros de la première charte (sur 5 ans) ont été réservés à l’Ours.

Il est curieux que cet organisme, qui prétend sauvegarder l’ours en combattant la mise en place de la directive Habitats, puisse voir depuis des années son budget toujours alimenté par des institutions qui sont pourtant chargées à la fois de la protection de l’espèce et de la mise en place du réseau Natura 2000 ! Curieux aussi que ce même organisme puisse continuer à différer ses engagements quant au renforcement de population usine, sans que l’Etat ne lui demande de comptes!

Fuyant cette gabegie, Papillon avait quitté son Béarn natal il y a deux ans pour la vallée des Toys (Hautes-Pyrénées). Il y avait réveillé les vieilles rancoeurs d’éleveurs qui avaient vécu la disparition de l’Ours de leur vallée comme une véritable aubaine et qui n’entendaient bien sûr pas qu’un animal sauvage vienne mettre son museau dans leurs verts pâturages.

Aussi Papillon vécut ses dernières semaines d’existence équipé « high-tech » d’un émetteur permettant de le localiser sans que cela calme pour autant la vindicte des éleveurs qui avaient organisé une battue à son encontre. Vieille tradition locale.

Cette mort, il est vrai prévisible, fait suite à celle d’un jeune ourson le 7 juillet dernier, ce qui nous ramène à la triste réalité de l’état de conservation de la population d’ours brun en France. Il est plus que temps que le ministère de l’Ecologie, plus prompt à faire abattre des loups dans les Alpes qu’à tenter de sauver les derniers ours de France, se décide enfin à procéder à des lâchers de nouveaux ours. L’expérience de 1996 et 1997, malgré la mort stupide de Melba au cours d’une battue au sanglier, a démontré que les milieux pyrénéens sont encore tout à fait aptes à recevoir une véritable population ursine.

Les récentes études ou sondages ont démontré que, contrairement à ce que font croire quelques élus locaux ou va-t-enguerre pyrénéens, la population locale est à une large majorité favorable à l’ours.

Galerie photo: Le tombeau de Papillon     25 juillet 2004


Capture et Pose de l’émetteur dans le ventre

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Le 22 avril 2004 à 22h05 exactement, au prix d’un gros labeur et de moyens importants, le «problème» (alias Papillon) était capturé par un piège posé par des membres du réseau et de l’équipe technique Ours qui ne cessaient de se relayer toutes les nuits en compagnie d’un vétérinaire. Et quel problème ! On attendait un moldo-valaque et ce fut le vieux «Papillon» qui glissa son pied dans un lacet coulissant. A-t-on réfléchi en ces instants d’étonnement ? A-t-on hésité à endormir puis à opérer l’animal mythifié et ressuscité ?  Nous n’en savons rien. Ce dont nous sommes sûrs, c’est qu’en ce 22 avril 2004, l’ours «Papillon» fut définitivement arraisonné par la Technique.

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Neutralisé par un fusil à seringue hypodermique qui lui injecta du zolétil – nous sommes heureux d’apprendre qu’il a la caractéristique de ne pas avoir de dose létale, le patriarche, dont tous subodoraient la fin proche, devint un sujet exceptionnel de laboratoire. De laboratoire in natura est-il plus juste de dire, tant le milieu naturel se transforme chaque jour un peu plus en vaste local d’expérimentations, où tout est permis pour l’avancement de la science. L’ours se meurt, la recherche avance… et « la connerie progresse » chante Bernard Lubat dans un scat gascon endiablé quelque part dans la Haute-Lande. Mais qui donc sait encore se perdre sous les pins ?


On enlève une dent à l’ours Papillon

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Si officiellement il était question de lui poser deux mouchards, l’un au cou et l’autre plus petit dans ses chairs, la vieille bête édentée fut également délestée d’une prémolaire. Voulait-on réduire cet ours au végétalisme par pitié pour ses proies, à l’instar de cette belle âme anglo-saxonne qui harnache ses loups de colliers expédiant une forte décharge électrique, et pédagogique, à chaque attaque de mouton ? Non, il semblerait qu’à lui voler une dent on ait voulu lui donner un âge ; la belle affaire, scientifiquement lui donner un âge par l’analyse des anneaux de cément. Une question se pose désormais, et avec acuité : qui sera le Rahan porteur d’un tel trophée, autour du cou bien entendu ? Mais n’en demandons pas tant, du moins pour le moment, et revenons à notre ours. Trop lourdement anesthésié – répétons qu’un colosse proto-kalmouk était pressenti à sa place – l’ours «Papillon», édenté nous l’avons dit mais aussi cataracté à l’œil gauche, faillit par deux fois laisser sa peau entre les mains de ses gestionnaires (c’est ainsi qu’ils s’appellent entre eux) et créer par là un scandale énorme, une vilaine affaire aussi grosse qu’un fauve de l’île Kodiak. Il s’est fallu d’un rien que nous n’assistions à tel naufrage si les bons soins du vétérinaire, et sans doute l’instinct puissant de survie de la vieille bête, n’avaient permis de relâcher le dimanche 25 avril au matin, soit tout de même plus de deux jours et demi après sa capture(8) , cet ours de 128 kilos – on a compris qu’il fut dûment pesé – aliéné pour le reste de ses jours à un corps étranger. Saluons d’ores et déjà l’ultime résistance de la bête au programme de désauvagisation, puisque nous apprîmes avec grande joie qu’elle se débarrassa très vite dans sa cage du mouchard accroché à son cou, sans toutefois bien sûr pouvoir détruire cet alien enfoncé dix centimètres dans sa peau.


Tout contrôler, avant tout

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Sachons toutefois que nous vivons sous l’empire du bien : un ours qui refuse un collier pour son bien n’est-il pas un animal réactionnaire, et donc susceptible d’être retiré de ses forêts, déporté vers on ne sait quelle Sibérie concentrationnaire?
Assénons-le sans complexe, cet ours de légende, dont la vie en nos montagnes assiégées relève du miracle, a été traité ces jours-là en bête de laboratoire et même en délinquant ; n’est-ce pas en effet ce dernier que l’on autorise à recouvrer la liberté muni d’un bracelet électronique ! Pour ce qui est du laboratoire, on claironne partout que «Papillon » fut le premier ours béarnais à bénéficier d’une carte d’identité génétique grâce aux analyses effectuées au début des années 90

LA NOVlangue

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Afin d’illustrer ce qu’est aujourd’hui la Novlangue, j’ai extrait ci-dessous des termes d’un article de presse récent, duquel il ne sera pas révélé immédiatement l’exact sujet :

« Une soixantaine d’acteurs »,
« la validation des propositions »,
« les fiches de procédure »,
« notre volonté de transparence »,
« des échantillons pour être analysés »,
« un cahier des charges techniques »,
« des méthodes d’analyses qui s’apparentent à celles de la police scientifique »,
« assez d’ADN pour un typage complet »,
« mais en contrôlant ce que nous faisons, en le faisant de façon démocratique ».

Veut-on nous parler ici de la future carte d’identité biométrique destinée aux sujets britanniques ? S’agit-il d’un test proposé par la firme Oxford ancestors qui, grâce à votre salive, peut révéler votre lignée paléolithique ? Ou bien s’agit-il de tout autre chose ?

Oui, il s’agit du « Nouveau discours sur la méthode pour mieux compter les ours », discours résumé dans le Sud-Ouest du 23 avril 2004. Une telle logorrhée était tout simplement inimaginable voici encore quinze ans ; elle est de nos jours la langue subversive, le Novlangue, qui d’une manière parfaitement insidieuse arrache l’ours à sa vie sauvage pour le contrôler puis l’enfermer dans les laboratoires, et l’exploiter à des fins prétendument scientifiques. Telle est la barbarie à laquelle nous nous habituons tous, car elle s’instille dans nos esprits par une langue vénéneuse, empoisonnée. À défaut de la réduire à néant, sachons au moins la décrypter, lui décocher toutes nos flèches et lui opposer notre Ancilangue, la langue française très naturellement. Mao l’avait bien compris en son temps : on ne se bat jamais sur le terrain de son adversaire, et il en est de même pour la langue et les mots. À «développement durable», nous répondons «nature» et à entendre «analyse génétique des poils d’ours» nous relisons Dersou Ouzala.

Texte extrait de Les secrets volés de Papillon de Stephan Carbonnaux


LA TRAQUE sans relâche

Relâché, et nous savons après quelles épreuves, l’ours fut constamment suivi par ses gestionnaires, eux-mêmes en butte aux exigences des éleveurs qui ne voulaient plus de cet animal. Les doléances pastorales de Jacquou furent vite exaucées, et nous apprîmes par la radio et les journaux la mort du plus vieil ours des Pyrénées, survenue le dimanche 25 juillet 2004 dans la montagne de Chèze, en Bigorre, trois mois et deux jours après sa capture sur la même commune.

Sa mort fut lente, et, l’on s’en doute, suivie de près par les gestionnaires, une dizaine, qui visitèrent la bête, l’approchèrent, firent des clichés, bref qui œuvrèrent pour la science universelle qui le leur revaudra un jour. Nous en sommes sûrs. Un porteur de caméra invité pour la cérémonie prit même quelques images de cet animal décharné, retiré à l’ombre sous une souche, fuyant son gîte sur ses pattes antérieures, incapable qu’il était de se servir de son postérieur paralysé. Assurément de belles images que l’on attend avec gourmandise de voir dans les salles de nos cinémas et des maisons de la jeunesse et de la culture.


Que conclure de cette mort savamment volée et médiatisée ?

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D’une part, et l’on s’en doute, que rien ne changera localement : «C’est pour mieux connaître la situation que l’Institution Patrimoniale du Haut-Béarn vient de lancer une vaste opération de recensement des ours vivant aujourd’hui dans les Pyrénées», déclarait en effet Jean Lassalle le lendemain de la mort de l’ours à La République des Pyrénées.

Les gestionnaires et les généticiens sont donc garantis d’un bel avenir. Fondamentalement, d’autre part, cette scandaleuse affaire illustre sans conteste que nous avons franchi un cap. Certes, la nature sauvage est malmenée depuis déjà longtemps, mais elle ne l’a jamais été dans les temps passés pour son bien.

«De souche pyrénéenne, Papillon, encore tout chaud quand il a été retrouvé (…) ne pesait plus que 94 kilos», «il avait reçu une rafale de plomb» dans la tête nous dit-on, «les examens porteront sur le plasma sanguin», «rein, foie et vessie ont été envoyés à un laboratoire parisien pour des analyses en histologie», «d’autres recherches toxicologiques larges (à l’école vétérinaire de Lyon) seront aussi effectuées, des recherches de pesticides, d’herbicide. Comme c’est une espèce tout en haut de la chaîne alimentaire, c’est intéressant de voir ce qu’on va trouver.

Il a mis trois semaines pour mourir…» ,

«une dent, une petite prémolaire a été envoyée aux Etats-Unis pour que l’âge soit déterminé avec précision» ; toutes informations, accompagnées des commentaires du docteur vétérinaire en charge de l’ours, que nous trouvons dans un article publié le 29 juillet par L’Éclair des Pyrénées. Voici un titre bien explicite en couverture ce jour-là : «Secrets d’ours – La dépouille de Papillon autopsiée», illustré par la photo d’une patte postérieure de la bête étendue sur une table blanche en plastique. Et le vétérinaire de conclure : «Un ours qui vieillit naturellement, c’est rarissime.»  !


Texte extrait de Les secrets volés de Papillon de Stephan Carbonnaux (Lien)

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