Le sort des ours ayant tourné dans le célèbre film « L’OURS » de J-J Annaud, ne peut que nous rappeler le triste sort de JOJO l’ours, et de ses semblables … (Voir vidéo de Rémi Gaillard)
NOUS VOULONS DES OURS LIBRES ! comme c’est le cas dans tant d’autres pays.
Ourse en Aspe – Texte de Stéphan Carbonnaux, 12 septembre 2005 :
‘L’ours n’en finit plus de crever dans les Pyrénées béarnaises et cependant il est partout. Son empreinte griffue est le logo de l’office du tourisme de la vallée d’Aspe, on la trouve sur les fromages du label Pédescaous et vous en verrez d’autres, rouge sang, apposées sur les panneaux de signalisation routière des vallées d’Aspe et d’Ossau en réaction à l’abattage odieux de la dernière ourse de lignée pyrénéenne. Mais surtout, l’ours gîte à Borce où il est la vedette d’un « espace animalier ». Curieux d’en savoir plus sur ce haut lieu touristique du Béarn, je suis allé le visiter cet été.
Mais revenons d’abord sur l’histoire de l’ours à Borce, quand une vingtaine d’ours vivaient encore en Béarn. Le 13 mai 1971, un groupe d’enfants mené par René Rose, alors directeur d’un centre des Pupilles de l’enseignement public et maire du village, découvre un ourson abandonné et le ramène à leur colonie. Mascotte locale, le petit ours aime jouer et reçoit le nom bien ridicule de Jojo.
Il grandit et entame dès lors une longue vie…derrière les barreaux d’un cul-de-basse-fosse. Des dizaines de milliers de personnes visitent Jojo, devenu moins joueur, juste bon à tourner sur lui-même et à attraper sa pitance.
Jojo a 20 ans quand la commune, royale, lui offre un éden de quelques centaines de mètres carrés qu’il fréquente deux mois, avant d’être soigné au zoo de Thoiry où il meurt atteint d’un cancer.
Il reste 9 ours en Béarn.
On comprend quel malheur frappe alors le village, qui perd un attrait touristique indéniable. Mais la chance tourne quand deux ours, récupérés chez un pépiniériste de Montauban, arrivent nuitamment à Borce, dans une parfaite illégalité, le 11 novembre 1993. Frère et soeur d’origine carpathique, dit-on, les ours sont affublés des prénoms d’Antoine Waechter et de Ségolène Royale, identifiés par René Rose et les partisans du tunnel du Somport comme des adversaires du progrès et du retour des enfants dans les écoles. Au « Clos aux ours », c’est la belle époque. Jojo ressuscite, empaillé par un « artiste », et Ségolène met bas à une oursonne au mois de janvier 1996. Un jeu-concours dans les écoles d’Aquitaine, suivi d’un vote des élèves de la haute vallée est le sacrement de baptême de Myrtille, parrainée par Marcel Amont, le barde aspois. Chacun aura compris l’intérêt d’associer les enfants à la fête ; la fréquentation annuelle connaît un joli bond de 22 000 à 32 000 visiteurs en 1997. On pourra calculer la belle rente grâce à un tarif d’entrée de 19 francs pour les adultes et de 12 pour les enfants. Après l’abattage d’une femelle sur les hauteurs de Borce en novembre 1994, il reste 6 ours en Béarn.
Hélas, on s’en doute, l’espace est si petit pour des bêtes habituées aux immenses forêts que les conflits sont permanents. Mais voici ce qu’on lit dans un article du Sud Ouest au mois d’aout 2001 : « Antoine est l’archétype du macho et du phallocrate ! Il utilise tout le territoire de l’enclos (…). Quand je leur lance de la nourriture, je dois le servir d’abord, sinon, il bastonne les deux autres » déclare le soigneur. Et le journaliste n’est pas en reste : « Myrtille qui a grandi dans son palace aspois (…), s’approche de sa mère, la nargue et la griffe. Elle a l’arrogance des jeunes starlettes épanouies dans le regard des mâles. (…) Les touristes n’ont aucune idée des drames sentimentaux qui se trament sous leurs yeux. C’est dommage, car il faut apprendre à connaître les ours. »
Tout commentaire sera superflu devant pareille bêtise.
A la suite du parc catalan des Angles et de la Colline aux Marmottes d’Argelès-Gazost qui attirent les grandes foules, Borce, sans doute piquée au vif par le projet de l’A.D.E.T. de créer un parc de 200 ha, rêve d’un vaste espace et retient le projet de la société Planète sauvage gérée par Bruno Guitton, le directeur du « Clos ». « Les groupes d’enfants trouveront à Borce un outil de connaissance extraordinaire. (…) Mais pas question de réimplanter à Borce les ours rebelles de l’Ariège » assène Bruno Guitton, « l’homme qui aime les ours et la nature ». On boit vraiment du petit lait ! A l’ouverture, le 1er juillet 2004, les commentaires sont élogieux : « Que le visiteur ne s’y méprenne pas : il ne s’agit pas d’un parc ou d’un zoo. Là, un vrai rendez-vous avec une faune éminemment naturelle est donné » lit-on dans le Sud Ouest. Dans un registre lacrymal, Pyrénées magazine fait pleurer dans les chaumières : « C’est Jojo qui aurait du aller là-bas. » Cela se passe toujours ainsi quand René Rose parle de son Jojo. Ses yeux sont pleins de buée et sa voix tremblote un peu. « Il aurait dû aller là-bas où les animaux peuvent se dérober à la curiosité bruyante des visiteurs. » Le 1er
novembre 2004, l’ourse Canelle est abattue à 2 km de Borce.
J’arrive à ma visite au mois d’aout dernier. Lisons la plaquette publicitaire : « Un rendez-vous plus vrai que nature » ou « Contemplez les animaux des Pyrénées en toute liberté« , mais plus loin on parle de « semi-liberté » ! Nous sommes déjà perdus. Franchi un parking où se mêlent voitures françaises et espagnoles, on accède à ce qu’il faut appeler La grande cage par une porte en verre bien transparent où s’inscrit cette phrase énigmatique : « Vous entrez dans un site naturel montagnard ». Moi, j’ai pénétré dans un espace grillagé de 10 hectares qui offrait immédiatement à ma vue un affreux pylône de télécommunications et des parasols Oasis is good et Glaces Nestlé sous lesquels des gens se restauraient. A la caisse (7 euros pour un adulte et 4,5 pour un enfant), on vous donne un pass à mettre autour du cou !, puis l’on vous dit sur un mode sérieux : « Ici, c’est pas un zoo. Il faut aller doucement, on peut approcher très près les animaux. » Et si la presse disait vrai ? Ah, un premier panneau : « Soyez attentifs, vous entrez dans l’espace Chevreuils », en fait un enclos fermé par deux sas aux lourdes portes métalliques. Une famille me rattrape ; elle approche une chevrette et un faon qui broutent à 10 mètres. Je ne perds rien de la conversation du père et du fils : « Va très doucement, il y en a deux ». Le gamin : « Ça tourne ? » Le père filme : « Va caresser celui qui est assis ». Les bêtes décampent.
« Tends-lui la main ». Le garçon finit par toucher le faon, mais la mère fuit. (…)
Joie, on nourrit les ours que les touristes veulent absolument photographier levés. Ségolène se dresse, le regard vide : « Oh, qu’il est beau ! », et reçoit comme récompense des … croquettes pour chien. « Une faune éminemment naturelle » avait prévenu Sud Ouest.
Arrive Titus, un mâle né à Vincennes voici 25 ans. S’il remplace Antoine, mort d’une leucémie en 2002, Titus n’a pas fière allure : il est épileptique, souffre d’arthrose et il est bien décharné. « Tiens, il boîte ! » lance un visiteur. Je n’avais pas imaginé un tableau aussi pitoyable ! Je discute et très vite je tiens un scoop : « oui, il n’y a plus d’ours des Pyrénées, mais Papillon est peut être le père de l’ourson de Cannelle ». Et les ours de l’espace ? « Ils sont slovènes ». Quelle confusion !
N’allez pas croire que j’oublie Myrtille. La voilà, elle s’est bagarrée avec sa mère et refuse de venir manger. Elle tourne comme une demeurée : « Tu vois, il se promène » susurre une mère à son fils qui trouve ici un « outil de connaissance extraordinaire ».
J’échoue devant quelques animaux de ferme puis à l’exposition, surpris par la lumière tamisée et par une musiquette sortie d’un ordinateur : « Aujourd’hui, l’espace animalier perpétue la mémoire de Jojo ». Jojo, le voilà empaillé. Un père commente à son fils : « Tiens, c’est Cannelle, la mère de Papillon, je crois ». Décidément, tout le monde s’embrouille à Borce ! Des gens lisent à l’écran la prétendue « véritable histoire de Jojo », cliquent, zappent quatre images d’ours blanc, des publicités (sic), puis s’en vont. Il y a sept ou huit panneaux aux murs ; le seul qui évoque l’ours narre l’anecdote d’un berger espagnol mordu en 1940-41 ! A côté, je reconnais René Rose qui souffle dans la tute de Labourdègne ; elle servait à avertir la vallée de rentrer les troupeaux dès que l’ours était vu. Je cherche, mais non pas une ligne sur la disparition de l’ours des Pyrénées, éradiqué par des chasseurs et des bergers. Comme si de rien n’était. Car, on l’a compris, si on bénit ici l’ours en cage, on se fiche pas mal de l’ours sauvage. Pour les étourdis, rappelons que René Rose, président de la communauté de communes de la vallée d’Aspe, est un fidèle de Jean Lassalle, le président de l’Institution Patrimoniale du Haut-Béarn. La boutique regorge de bricoles à acheter.
Il est 18h00, je quitte La grande cage après trois heures de visite. Mon ticket porte le n° 14 686, on semble donc loin des 30 000 visiteurs espérés. Faut-il croire à un désintérêt pour ces zoos ? Néanmoins, la prison ursine et animalière de Borce colle à l’avenir voulu par certains pour les Pyrénées occidentales. Dans le guide des loisirs de l’été 2005 édité par les trois journaux régionaux, regardez bien la carte du Béarn : on y voit dessinés maints sujets mais pas un ours brun. Et puis, visez au-dessus de la carte et vous y verrez quatre photos de la tête d’un ours blanc, reproduites sur les pages qui suivent ! Est-ce un présage pour nos montagnes : la disparition de l’ours brun et l’arrivée prochaine à Borce d’un ours arctique sur un morceau de banquise décroché par le réchauffement des océans ?
Sur un pilier de l’église de Borce et en bas à Etsaut, deux vieilles têtes d’ours en pierre veillent sur des Pyrénées que l’on dit bientôt vides des deux derniers mâles de leur lignée…
Texte de Stéphan Carbonnaux, lundi 12 septembre 2005.