COP25 : QUAND LES MARCHÉS CARBONE MINENT LES DROITS HUMAINS

L’Humanité – le 2 Décembre, 2019 :

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La Chine peut acquérir des crédits carbone en investissant dans des projets « vertueux » dans les pays en développement. F. Dufour/AFP

Climat. La relance des mécanismes de compensation carbone sera au menu de la COP25, qui démarre aujourd’hui à Madrid. Les expériences passées mettent en alerte de nombreux acteurs, qui dénoncent des pratiques d’accaparement de terres.

La relance des marchés carbone se fera-t-elle au détriment des droits humains ? Après bien des déboires (lire encadré), la 25e conférence des parties sur le climat (COP25) démarre ce lundi 2 décembre à Madrid, avec, à son menu, un morceau conséquent portant sur les mécanismes financiers dits de compensation des émissions de gaz à effet de serre (GES). Le protocole de Kyoto, premier accord international sur le climat à avoir été adopté, en 1997, en faisait déjà l’un de ses outils phares. Beaucoup s’inquiètent des conditions de leur reconduction. «  Si elles sont mal conçues, ces approches pourraient non seulement contribuer à l’augmentation des émissions, mais aussi causer des dommages environnementaux et sociaux importants et des violations des droits de la personne», alerte ainsi le Center for international environmental law (Centre international pour le droit environnemental, Ciel). D’autres, à l’inverse, continuent d’y voir une solution à même de faire aboutir des engagements qui traînent à se concrétiser. La dispute promet de focaliser une bonne partie des débats durant les deux semaines que doit durer ce nouveau round de négociations sur la mise en œuvre de l’accord de Paris.

Adopté en décembre 2015 lors de la COP21, celui-ci dresse un cadre général indiquant aux gouvernements la marche à suivre en termes de lutte contre le réchauffement climatique. La résolution encapsule également toute une série de points qui restent à peaufiner, débattre ou adopter.

Un réchauffement de plus de 3 °C

Parmi eux, le renforcement des ambitions nationales en termes de réduction de gaz à effet de serre (GES) concentre toutes les attentions : à ce jour, les contributions volontaires formulées par l’ensemble des États nous placent sur la voie d’un réchauffement de plus de 3 °C (lire notre média du 27 novembre). Très loin, donc, d’un réchauffement de moins de 2 °C, objectif auquel s’est engagée la communauté internationale. Encore plus loin d’une limitation de la hausse des températures à 1,5 °C, qu’elle a promis de tout faire pour tenir.

Les gouvernements ont, théoriquement, jusqu’à l’année prochaine pour mettre sur la table de nouvelles contributions : la COP25 est censée faire office d’ultime tremplin à cette mécanique de l’ambition. À cette fin, elle prévoit de se pencher sur les outils permettant d’accélérer la transition vers une économie moins carbonée. C’est tout l’objet de l’article 6 de l’accord de Paris, qui remet sur les rails un instrument vieux de plus de vingt ans : celui des marchés carbone.

Il en existe de deux sortes. Ceux qui, sur le modèle du marché carbone européen (EU-ETS), permettent aux États et aux entreprises de s’échanger, au sein d’une même grande région, des « crédits carbone » qu’on leur a préalablement accordés. Et ceux, internationaux, qui permettent aux entreprises des pays industrialisés ou émergents (Chine, Brésil…) d’acquérir des crédits carbone en investissant dans des projets « vertueux » dans les pays en développement. Ce sont eux que cible singulièrement l’article 6, même si la forme que prendra leur mise en œuvre est susceptible d’avoir un impact sur les premiers.

Typiquement, on considère qu’une compagnie investissant dans la préservation d’une forêt – dont l’accord de Paris rappelle qu’elles sont des « puits et réservoirs de gaz à effet de serre » – compense les émissions que son activité génère. Cela vaut de la même manière pour un groupe qui investirait dans un projet d’énergie non carbonée dans un pays du Sud – type barrage électrique, voire production d’agrocarburants. À chaque fois, cela lui donne droit à des crédits carbone, échangeables sur les marchés éponymes. L’industriel peut aussi les déduire de ses propres obligations de réduction de gaz à effet de serre.

Des ponts entre climat et biodiversité

Alors que cette COP25, dite bleue, entend construire des ponts régulateurs entre climat et biodiversité et mettre en avant les « solutions rendues par la nature », rien n’exclut que certains services fournis par les écosystèmes se voient financiarisés de la même manière. Certains pays entendent ainsi très sérieusement intégrer les terres arables à ces marchés, là encore au titre de leur fonction de puits de carbone (lire entretien ci-après).

Le problème est que «  la grande majorité de ces projets a échoué à démontrer leur efficacité », souligne, à l’instar de nombreux autres acteurs, Sébastien Duyck, juriste senior au Ciel (1). Mis en œuvre dans le cadre du protocole de Kyoto sous le nom de mécanismes de développement propre (MDP), ou encore de mécanismes de mise en œuvre conjointe, ces systèmes ont même fini par s’effondrer, entre autres du fait de la crise financière de 2008 qui a vu le prix de la tonne carbone s’écrouler à moins de 1 euro. Surtout, reprend Sébastien Duyck, « il n’est pas rare que ces mécanismes de compensation aient donné lieu à des violations des droits de l’homme. L’accord de Paris va-t-il intégrer ces expériences ou va-t-on laisser à chaque Etat le soin de gérer la situation : c’est toute la discussion que nous allons avoir à Madrid » .

Le Ciel cite plusieurs cas pour exemples. Entre autres, celui du barrage Barro Blanco, réalisé au Panama, avec à la clé de nombreux préjudices commis à l’encontre des populations autochtones, contraintes au déplacement, sans avoir pu faire part de leur consentement préalable et éclairé. Le projet avait fini par être exclu des MDP, mais les dommages étaient faits.

Autre exemple, à venir, lui : celui du projet hydroélectrique d’Alto Maipo (Pham), au Chili, qui entend utiliser le débit naturel de la rivière Maipo, dont les eaux seront détournées sur plus de 100 kilomètres, via une série de tunnels creusés dans les Andes. Cela affectera « la rivière, ses trois principaux affluents et ses aquifères souterrains », alerte le Ciel, qui redoute « des impacts pour l’accès à l’eau des populations, l’agriculture locale, le tourisme et l’environnement. »

Les trois dernières COP, déjà, se sont penchées sur toutes ces questions, sans qu’une majorité parvienne à se dégager. Plusieurs pays s’avèrent désireux de conditionner les mécanismes de compensation aux respects des droits humains fondamentaux. D’autres s’opposent radicalement à ce que ces simples mots apparaissent dans l’article concerné.

LE CAPITALISME VERT UTILISE GRETA THUNBERG

Reporterre – le 9 février 2019 :

arton16670-31728.jpgDepuis environ cinq mois, une jeune Suédoise de 16 ans, autiste Asperger, se retrouve sous les projecteurs médiatiques du monde entier. Elle fait la « grève de l’école » pour se faire entendre et son combat est juste. Il s’agit pour elle de passer un message aux milliardaires, aux décideurs politiques, que ce soit à la COP24 en Pologne ou dernièrement à Davos afin qu’ils respectent leurs engagements sur le climat. Son dernier discours a ému quasiment tous les militants écologistes de la planète :

« Je ne veux pas que vous soyez désespérés, je veux que vous paniquiez. Je veux que vous ressentiez la peur qui m’habite chaque jour et que vous agissiez, comme s’il y avait le feu, parce que c’est le cas. […] Il y a encore une petite chance de stopper les émissions de gaz à effet de serre afin d’éviter des souffrances pour une grande partie de la population de la planète. »

Derrière ces moments forts, on trouve un petit génie suédois des « public-relations », Ingmar Rentzhog. L’envers du conte de fées est moins joli, mais plus intéressant.

Le journaliste d’investigation suédois Andreas Henriksson est le premier à avoir enquêté sur ce sujet et son article a été publié sur le blog de Rebecca Weidmo Uvell, le 11 décembre 2018.

Tout a été finement programmé pour transformer la jeune Suédoise en héroïne internationale

Greta Thunberg en grève devant le Parlement suédois.

La belle histoire de Greta Thunberg commence le 20 août 2018. Ingmar Rentzhog cofondateur de la start-up We Don’t Have Time (Nous n’avons pas le temps) croise Greta Thunberg devant le Parlement suédois et publie un post émouvant sur sa page Facebook. Nous sommes le 1er jour de la grève commencée par Greta. Le 24 août, sort en librairie une autobiographie mêlant crise familiale et crise climatique, Scener ur hjärtat, corédigée par Malena Ernman la mère de Greta, Svante Thunberg son père, Beata, sa sœur, et Greta. Les parents artistes – chanteuse lyrique et acteur – sont très connus en Suède ; Greta, pas encore. En fait Ingmar Rentzhog et la famille de Greta se connaissent déjà et on participé ensemble à une conférence sur le climat le 4 mai 2018. Peu de place au hasard donc, dans la rencontre à Stockholm, sur le trottoir devant le Parlement entre Ingmar et Greta. Tout a été finement programmé pour transformer la jeune Suédoise en héroïne internationale, et ce, dès le 1er article paru dans le quotidien le plus lu dans le pays, Aftonbladet, quelques heures seulement après le post Facebook de Rentzhog.

We Don’t Have Time, la start-up qu’il a cofondée en 2016, a l’ambition de créer un réseau social de plus de 100 millions de membres, qui influencera les hommes et femmes politiques et les chefs d’entreprise pour qu’ils agissent davantage contre le réchauffement climatique. C’est ce qui apparaît en tout cas dans leur plaquette web.

C’est là que ça se complique. Parmi les actionnaires de la start-up, on trouve les membres de deux familles interconnectées : les Persson, enfants du milliardaire Sven Olof Persson, qui a fait fortune, entre autres, dans la vente de voitures (Bilbolaget Nord AB) et les Rentzhog. Les deux familles d’investisseurs, qui se sont rencontrées dans la région du Jämtland, n’ont aucun lien avec l’écologie, ce sont des spécialistes de la finance.

Sauver la planète tout en maintenant la croissance économique et en réclamant encore plus de mondialisation 

Ingmar Rentzhog, ou comment utiliser Greta Thunberg pour promouvoir la croissance verte.

En mai 2018, Ingmar Rentzhog est recruté comme président-directeur du think tank Global Utmaning, faisant la promotion du développement durable et se déclarant politiquement indépendant. Sa fondatrice n’est autre que Kristina Persson, fille du milliardaire et ex-ministre social-démocrate chargée du développement stratégique et de la coopération nordique entre 2014 et 2016. Via l’analyse des tweets du think tank, on observe un engagement politique fort, à l’aube des élections européennes, envers une alliance qui irait des sociaux-démocrates à la droite suédoise. L’ennemi étant « les nationalismes » émergeant partout en Europe et dans le monde. Des idées qui ne déplairaient pas à notre cher président Macron.

Le 16 janvier 2019, Global Utmaning était fière d’annoncer sur les réseaux sociaux sa nouvelle collaboration avec Global Shapers, une communauté de jeunes dirigeants de 20 à 30 ans « dotés d’un grand potentiel pour jouer un rôle dans l’avenir de la société et qui travaillent à améliorer la situation des populations autour d’eux ». Ce réseau a été créé de toutes pièces par le Forum économique mondial en 2011. Ses leaders entendent bien sauver la planète tout en maintenant la croissance économique et en réclamant encore plus de mondialisation. Tout un programme.

Je résume. Nous avons d’un côté une plateforme numérique en construction, We Don’t Have Time, qui a pris un réel essor il y a quelques mois grâce à Greta Thunberg, « jeune conseillère » de la fondation dirigeant cette plateforme. J’ai oublié de préciser au passage que les centaines de milliers d’adresses mail collectées par Rentzhog valent de l’or. Et de l’autre, nous avons une famille de milliardaires comptant une ex-ministre qui investit dans cette start-up, puis qui embauche Ingmar Rentzhog dans un think tank développant les thèmes de la croissance verte, de l’économie circulaire, bref, de greenwashing.

Ce greenwashing qui permet au capitalisme de perdurer. Greta Thunberg se retrouve à conseiller ceux qu’elle fustige. Comme disait l’auteur du Guépard, « si nous voulons que tout reste tel que c’est, il faut que tout change » (Guiseppe Tomasi Di Lampedusa).

  • Post-scriptum : Que les choses soient claires : le combat de cette adolescente et de tous les jeunes qui lui emboitent le pas, partout dans le monde, est sain et une formidable source d’espoir pour la prise de conscience écologiste.

Par contre, il ne faut pas être dupe du rôle de certains adultes autour d’elle, spindoctor, mentor, spécialistes du greenwashing, de la croissance verte et du capitalisme. Pour lutter efficacement, ne pas être dupe est une nécessité.

COP 24 : PROLONGATION FASTIDIEUSE POUR UN ACCORD SANS AMBITION

Reporterre – le 15 décembre 2018 :

COP24ENLa négociation s’est poursuivie malaisément à Katowice vendredi 13 décembre. Les États-Unis et l’Arabie saoudite freinent autant qu’ils peuvent, tandis que les Européens sont peu présents.

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Au 12e et dernier jour officiel de la COP, vendredi 14 décembre, les négociations et les marchandages ont tourné à plein. Beaucoup se disaient convaincus qu’un accord serait trouvé, mais personne ne pouvait prédire à quel moment et avec quelle ambition.

(…) Les petits, les pauvres doivent compter, tandis que les riches doivent leur venir en aide. Au cœur des négociations, comme à chaque COP depuis 24 ans, le principe des responsabilités communes mais différenciées (CBDR) : si tous les États sont responsables du réchauffement climatique, leurs efforts doivent être modulés en fonction de leur responsabilité historique – les pays les plus anciennement industrialisés doivent faire plus – et des moyens dont ils disposent. (…) »

 

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Image Courrier International

COP24 : EN POLOGNE, LE SPONSOR DU SOMMET CLIMAT EST AUSSI LE PREMIER PRODUCTEUR DE CHARBON

France Inter – le 27 novembre 2018 :

Plusieurs grands groupes miniers et énergétiques polonais figurent parmi les entreprises qui parrainent le prochain sommet sur le climat COP24 qui s’ouvre dimanche à Katowice, en Pologne. C’est le cas notamment du groupe JSW, premier producteur de charbon à coke dans l’Union européenne.

Le bassin houiller de la Silésie en Pologne. Sur la photo la mine de charbon de Knurow

Le bassin houiller de la Silésie en Pologne. Sur la photo la mine de charbon de Knurow © Maxppp / OUEST FRANCE

Jastrzebska Coal Company (JSW), se vante d’être devenu le première partenaire officiel de la COP24, mais le ministre de l’Environnement polonais, Henryk Kowalczyk, essaie de minorer cette présence.  Selon lui, les groupes énergétiques PGE et Tauron – qui développent, outre les centrales à charbon, des sources d’énergie renouvelables – en font partie, tout comme des groupes publics du monde de la banque, des assurances ou du gaz.

Premier sponsor et premier pollueur ?

62336049Le président du groupe JSW, Daniel Ozon, présente son entreprise comme « un leader pro-écologique dans le secteur de l’extraction ». JSW doit présenter aux participants à la COP24 un autobus à hydrogène et une station service mobile distribuant ce carburant. A l’avenir, le groupe compte devenir fournisseur d’hydrogène pour les véhicules utilisant ce gaz. Mais la Pologne et JSW en particulier participent aussi grandement à la pollution dans le pays. Plus de 60% de la pollution est due au charbon brûlé chez soi ou dans des centrales. Selon l’Agence européenne de l’environnement, près de 50 000 Polonais meurent prématurément chaque année en raison de la pollution de l’air.

Une transition énergétique à la polonaise

Mais pour JSW, la COP24, c’est justement l’occasion de changer l’image du secteur : montrer que l’entreprise polonaise fait des efforts pour limiter ces rejets de CO2 et que l’extraction de charbon est, en quelque sorte, de moins en moins sale. JSW se définit même comme « leader pro-écologique dans l’industrie minière »

Parmi les autres partenaires de la conférence climatique, on trouve aussi PGE et Tauron, deux grands groupes exploitant des mines et des centrales à charbon. Une présence étonnante, mais finalement dans la droite ligne de la politique environnementale et énergétique du gouvernement polonais. D’un côté, il aide financièrement les foyers à abandonner le chauffage au charbon pour se tourner vers le gaz, ou les énergies renouvelables, mais de l’autre, il soutient, à grands renforts de milliards, les mines toujours exploitées. 100 000 employés travaillent justement dans la région de Katowice, où se déroule la COP24. Faire d’une entreprise minière le sponsor de la conférence climatique, c’est donc aussi envoyer un signal fort à toute l’économie locale.

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LES ENTREPRISES LES PLUS POLLUANTES INFLUENCENT LES NÉGOCIATIONS CLIMATIQUES, SELON UN RAPPORT

Reporterre – le 3 novembre 2017 :

Le rapport « Polluting Paris : comment les grands pollueurs sapent la politique climatique mondiale » (en anglais), publié jeudi 2 novembre par l’ONG Corporate Accountability, montre comment les entreprises les plus polluantes du monde sapent les négociations politiques nécessaires à la mise en œuvre de l’accord de Paris. Le rapport pointe aussi des interférences sur les discussions concernant les finances, l’agriculture et les technologies, ainsi que les effets des parrainages d’entreprises et de la participation de l’industrie des énergies fossiles sur l’intégrité des négociations. Enfin, l’étude s’intéresse à la manière dont les gouvernements des pays du Nord – Donald Trump et les États-Unis en première ligne – agissent à la demande des industries des énergies fossiles et d’autres industries polluantes pour compromettre les progrès des négociations.

Par exemple, concernant l’article 6 de l’accord de Paris, l’influence des entreprises a orienté les négociations vers des mécanismes commerciaux orientés vers le marché qui profitent aux groupes industriels et aux sociétés qui les soutiennent, loin des solutions non marchandes éprouvées comme la finance directe et les réductions d’émissions contraignantes. Les auteurs du rapport soulignent aussi l’influence des associations commerciales telles que l’International Emissions Trading Association (IETA), dont les membres comprennent les géants pétroliers BP et Chevron, et les sociétés charbonnières BHP Biliton, Duke Energy et Rio Tinto : l’IETA s’est insinuée jusque dans les négociations, un des membres de propre conseil négocie au nom du Panama et est un co-coordinateur sur les mécanismes de marché pour le G77 et la Chine, le plus grand bloc de négociation de la CCNUCC.

« Les grands pollueurs se sont insinués dans presque tous les aspects de la CCNUCC, a déclaré Tamar Lawrence-Samuel de Corporate Accountability, co-auteur du rapport aux côtés de quatre experts mondiaux de la justice climatique. Si nous n’y mettons pas fin maintenant, les lobbyistes et les délégués représentant les intérêts de l’industrie veilleront à ce que l’accord de Paris promeuve les stratagèmes financiers des plus gros pollueurs du monde, au lieu de les combattre ».

LE BILAN DE LA COP 23

La terre d’abord – le 19 Novembre 2017 :

La COP23 s’est terminée et il y a lieu de tirer un bilan. La grande question est bien sûr de vérifier nos propres conclusions au moment de la COP21 et de voir si nous sommes « catastrophistes » ou simplement « réalistes ».

La COP23 ne donne pas de réponse à ce sujet, car elle n’a pas présenté de questions ; en fait, tous les observateurs se demandent même pourquoi elle s’est tenue, à part pour des raisons formelles.

On a affaire ici à quelque chose de très grave. Après la COP21, le réchauffement climatique aurait dû devenir une cause d’une importance fondamentale pour tout le monde. Cela devrait être une actualité intellectuelle, théorique, culturelle, allant des scientifiques aux discussions entre amis.

Il n’y a pourtant rien de cela. Le réchauffement climatique est perçu comme une sorte de bruit de fond. Il faudra vivre avec, rien ne peut réellement se passer, de toutes manières les Etats prendront les mesures nécessaires et surtout, nous ne sommes pas les plus mal lotis dans notre pays.

Si l’on ajoute à cet esprit égoïste, un très fort “climato-scepticisme”, on a un panorama régressif au plus haut point. La COP23 n’a rien changé à la donne, d’autant plus que les grandes échéances sont officiellement repoussées.

La grande date décisive, c’est la fin de l’année 2018, pour quatre raisons :

– le Giec (groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) publiera en septembre 2018 le document «  Réchauffement planétaire de 1,5°C: rapport spécial du GIEC sur les conséquences d’un réchauffement planétaire de 1,5°C par rapport aux niveaux préindustriels et les profils connexes d’évolution des émissions mondiales de gaz à effet de serre, dans le contexte du renforcement de la riposte mondiale au changement climatique, du développement durable et de la lutte contre la pauvreté »,

le même mois se tiendra à San Francisco un « sommet de l’action climatique mondiale » avec des villes, des entreprises, des ONG, etc.,

le 12 décembre 2018 se tiendra le sommet de Paris pour tirer le bilan de la COP21,

le même mois, on ne sait pas encore quand, se tiendra la COP24 à Katowice, ville industrielle historique de la Pologne.

Cela formera « le moment de vérité » pour reprendre l’expression de Nicolas Hulot, qui montre ici pourquoi il n’a pas démissionné de son poste : il veut être aux premières loges. Il espère encore se placer comme “grande figure” combinant institutionnalisation et souci de la planète.

Un positionnement qui est absurde de bout en bout, et de toutes manières il ne faut pas se leurrer, tout le monde a compris que les objectifs de la COP21 sont impossibles à atteindre en l’absence d’un gouvernement mondial donnant des ordres précis et efficaces.

Dans un monde de concurrence économique acharnée, de bataille pour la puissance, il n’y a pas de place pour des comportements raisonnés et raisonnables. L’objectif est simplement de ne pas perdre la face et d’attendre que quelqu’un fasse un faux pas, pour apparaître comme le moins coupable, exactement comme en 1914.

Il suffit de voir que 70 % des investissements du secteur énergétique mondiale vont au charbon, au pétrole, au gaz et que cette proportion passera à 60 %… en 2040. Personne ne veut changer son style de vie, personne ne veut perdre ses avantages dans la bataille économique.

Tout est donc poudre aux yeux. Des pays ont annoncé juste avant la COP23 une « Alliance pour la sortie du charbon », mais il ne faut pas être dupe : la France a signé pour promouvoir le nucléaire. Il s’agit juste de se placer de manière adéquate : Emmanuel Macron a parlé de taxer le C02, mais c’est bien aussi dans le sens de pratiquer le protectionnisme.

Il y a une véritable prise d’otage de la question ici et on a même vu le président français Emmanuel Macron et la chancelière allemande Angela Merkel arriver en grande pompe pour la fin de la COP23, avec une déclaration commune franco-allemande.

Emmanuel Macron lui-même a tenu un discours, disant que « le seuil de l’irréversible a été franchi », comme quoi « en France, nous devons accélérer la transition énergétique avec l’obsession de réduire nos émissions de gaz à effet de serre », d’ailleurs « nous n’avons qu’un horizon : c’est maintenant ».

Ce show franco-allemand était possible par un habile tour de passe-passe, puisque, officiellement, ce sont les îles Fidji qui organisaient la COP23, l’Allemagne ayant proposé de l’assumer techniquement chez elle.

On a pu voir Timoci Naulusala, un Fidjien de 12 ans, s’exprimant à la tribune pour parler de la catastrophe provoquée par le cyclone Winston de 2016 :

« Ma maison, mon école, ma source de nourriture, d’eau, d’argent, ont été détruites. Ma vie était un chaos. Je me suis demandé : Que se passe-t-il ? Que vais-je faire ? »

Ce jeu sur l’émotion s’est également accompagné de la mise en place d’un « dialogue de Talanoa ». Le mot est fidjien et signifie « parler avec le cœur » !

On en arrive à un point où pour y croire encore, il faut faire plus que semblant : il faut pratiquement passer dans le mysticisme.

La COP23 a été un accompagnement de plus à la catastrophe en cours, un faire-valoir pour les gouvernants, un gage de bonne conscience pour les gouvernés…

A un moment, il faudra bien faire semblant de prendre des décisions, bien sûr. Mais il s’agit de repousser cela le plus possible, comme pour éviter toute responsabilité.

C’est l’ultra-individualisme des gens, mais à l’échelle des États. C’est la raison pour laquelle il a été décidé de voir… l’année prochaine où en est la situation des cent milliards de dollars promis chaque année, à partir de 2020, aux pays subissant des « pertes et dommages » en raison du réchauffement climatique.

Repousser toujours davantage les décisions, prétendre que la prochaine sera la bonne : voilà le sens des COP et la COP23 ne déroge pas à la règle.


Fin de la COP 23 : la planète brûle, les diplomates tournent en rond

Reporterre – le 18 novembre 2017 :

La COP23 s’est achevé vendredi 17 novembre sur la déception. Déstabilités par le retrait des États-Unis de l’Accord de Paris, les États n’ont pratiquement pas avancé sur la mise en oeuvre de ce traité.

« Une COP d’étape », « décevante », « sans leadership politique » : c’est avec peu d’enthousiasme que ceux qui ont suivi la COP23 la décrivent. La 23e Conférence des parties de l’ONU sur le climat, qui a réuni 196 pays ainsi que l’Union européenne, s’est close hier vendredi 17 novembre à Bonn, en Allemagne.

L’objectif de ces deux semaines de négociations était, selon les mots de l’ONU, « d’accélérer la mise en œuvre des objectifs de l’Accord de Paris », adopté il y a deux ans, et qui fixe comme objectif une limitation du changement climatique à 1,5 °C. Or, pour l’instant, les engagements de réduction des émissions de gaz à effet de serre annoncés par les États aboutissent à un réchauffement de 3 °C.

Les émissions mondiales de gaz à effet de serre ne se réduisent pas, malgré les engagements pris (source : UNEP)

Aucune décision importante n’était attendue cette année, mais cette COP devait poser les bases pour qu’en 2018, les pays relèvent leurs promesses en faveur de l’atténuation du changement climatique.

« Cette COP a fait le travail et a posé les bases d’un dialogue entre les États sur ce sujet », assure Lucile Dufour, ‎responsable négociations internationales et développement au Réseau action climat (RAC) France. En effet, les 197 parties se sont engagées à poursuivre le « dialogue de Talanoa » pendant toute l’année 2018, afin d’arriver avec des propositions concrètes à la prochaine COP. Contrairement à ce que certains craignaient, la délégation officielle états-unienne n’a pas empêché d’avancer. Les observateurs la décrivent comme « discrète » et « constructive ».

« Des annonces fondées sur la politique des petits pas »

Mais les discussions ont achoppé sur plusieurs points, en particulier sur la question du financement de l’aide consentie par les pays développés à l’égard des pays en développement. « Alors que l’année 2017 a été marquée par des événements climatiques exceptionnels, il n’y a pas eu d’avancées concrètes pour aider les populations les plus vulnérables à faire face aux impacts du changement climatique », dit Armelle Lecomte, membre de la délégation de l’ONG Oxfam à Bonn.

L’Accord de Paris prévoit que les « financements climat » s’élèvent à 100 milliards de dollars par an en 2020. « Or, en incluant les investissements privés, on arriverait pour l’instant officiellement à 67 milliards. Selon nos calculs, c’est même moins, entre 18 et 34 milliards de dollars seulement. Pourtant les pays développés sont arrivés les mains vides », note Armelle Lecomte. Un point essentiel des négociations, car si les pays développés ne tiennent pas leurs engagements financiers, les pays en développement refuseront de faire plus d’efforts.

Ce sujet a ainsi « accaparé les discussions », selon David Levaï, directeur du programme climat à l’Iddri (Institut du développement durable et des relations internationales). Or, ces discussions devaient plutôt porter sur la mise en œuvre de l’Accord de Paris, avec la définition de règles communes pour, par exemple, comptabiliser les efforts de chaque pays de réduction de ses émissions de gaz à effet de serre, ou encore les moyens apportés à la lutte contre le changement climatique. Les négociations n’ont « pas autant avancé qu’on l’aurait espéré. Cela laisse beaucoup de travail pour l’an prochain », explique le chercheur. Une situation qu’il estime due à un « manque de leadership gouvernemental. C’est très bien que Angela Merkel et Emmanuel Macron soient venus, notamment parce que le leadership européen pourrait combler la perte de celui des États-Unis. »

Emmanuel Macron et Angela Merkel à Bonn, lors de la COP23.

Mais cela n’a pas été suffisant. « La plupart des États se sont cachés derrière des postures de négociation, et ont utilisé l’argument du retrait des États-Unis pour ne pas aller plus loin, analyse de son côté Lucile Dufour. Il y a eu un décalage entre une reconnaissance de l’urgence dans les discours des chefs d’État — notamment celui d’Emmanuel Macron — et à côté des annonces fondées sur la politique des petits pas », poursuit-elle. « Par exemple, il a annoncé des crédits pour le Giec [groupe intergouvernemental d’experts sur le climat], mais c’est une toute petite partie des financements nécessaires pour le climat. »

Le « in » de la COP — c’est-à-dire l’espace dédié aux négociations officielles entre gouvernements — a donc déçu beaucoup d’acteurs. « Pour la première fois, le cœur de la COP n’était pas du côté réservé aux négociations gouvernementales, mais dans l’espace du “off”, où les acteurs exposent leurs actions concrètes en faveur de la lutte contre le changement climatique. Il y avait une dichotomie renforcée entre des négociations au ralenti, et une action climatique boostée », observe David Levaï.

Les regards se tournent désormais vers les prochaines étapes

Parmi les initiatives remarquées, celle de l’« Alliance globale pour la sortie du charbon », lancée par le Royaume-Uni et le Canada, et rassemblant une vingtaine d’États. L’Angola, la Belgique, la Finlande, la France, l’Italie, les îles Marshall, le Portugal, le Salvador, mais aussi plusieurs États américains et canadiens (Washington, Alberta, Vancouver…) l’ont rejointe.

Le « off » accueillait également une délégation états-unienne nombreuse : représentants des villes, États de la fédération et de la société civile sont venus montrer leur engagement pour le climat et leur désaccord avec la décision du président des États-Unis, Donald Trump, de retirer son pays de l’Accord de Paris. « Ils étaient très présents et la moitié des délégués états-uniens portaient un badge “We Are Still In” [“nous en faisons toujours partie”], pour montrer qu’ils étaient présents et adresser un message politique à Washington », raconte David Levaï.

Manifestation à Bonn contre l’exploitation du charbon en marge de la COP23.

Un dynamisme bienvenu, mais « qui ne doit pas faire oublier que la responsabilité incombe aux États, rappelle Lucile Dufour. C’est à eux de donner des signaux à l’ensemble de la société, aux entreprises, pour aller plus loin dans les engagements en faveur du climat. »

Les regards se tournent désormais vers les prochaines étapes. Le 12 décembre, un sommet à Paris doit discuter des financements pour le climat. Puis en 2018, un rapport du Giec très attendu dessinera le climat que nous promettent les engagements actuels des pays en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre, et les efforts supplémentaires à effectuer pour tenir l’engagement de limiter le réchauffement à 1,5 °C.

Tout cela devrait permettre de préparer la COP24, qui sera « la prochaine étape cruciale », souligne Sandrine Maljean-Dubois, directrice de recherche au CNRS. « Si l’on n’arrive pas à se mettre d’accord l’an prochain pour augmenter les contributions des pays à la réduction des gaz à effet de serre, comme le prochain rendez-vous est fixé en 2023, ce sera trop tard pour atteindre des objectifs ambitieux », note-t-elle.

Elle n’attendait pas énormément de cette COP23 : « Dans les négociations climat, on avance par paquets de décisions qui constituent ensemble un compromis. On n’a pas avancé parce que cette COP n’avait pas prévu de prendre un paquet de décisions. »

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BIODIVERSITÉ : « IL FAUT STOPPER LA FINANCIARISATION DE LA NATURE ! »

Basta – le 16 octobre 2012 :

Biodiversité : « Madame Batho, il faut stopper la financiarisation de la nature ! »

arton2708Peut-on confier aux marchés financiers la préservation des écosystèmes et de la biodiversité ? Verrons-nous bientôt en Europe des centaines de banques de « compensation biodiversité », vous proposant d’investir dans une forêt primaire ou une espèce menacée ? C’est à ces questions que doit répondre la ministre de l’Écologie Delphine Batho, à la Convention de l’Onu sur la biodiversité (COP11) qui se déroule en Inde. Le gouvernement français soutiendra-t-il la transformation de la nature en registre comptable ?

La ministre de l’Écologie, Delphine Batho, doit s’exprimer lors de la convention de l’Onu sur la biodiversité (COP11 [1]) qui se déroule actuellement à Hyderabad en Inde. Quelle sera la position du gouvernement français sur la « conservation de la biodiversité » et ses financements ? Ceux-ci sont destinés en priorité aux pays les plus pauvres économiquement, souvent les plus riches en termes de biodiversité (comme la République démocratique du Congo). Ils doivent permettre la mise en œuvre des décisions prises lors de la précédente conférence de Nagoya (Japon). Ces décisions visent à stopper d’ici 2020 l’érosion de la biodiversité et à assurer le « partage juste et équitable » des ressources génétiques [2]. La signature du « plan stratégique » avait d’ailleurs été conditionnée à ce que les pays, notamment « industriels », accroissent substantiellement leurs contributions.

Or, ces financements restent pour le moment largement insuffisants. Les pays du Nord s’abritent derrière la débâcle économique actuelle pour ne pas les augmenter. Il n’est pas acceptable que la transition écologique soit rendue impossible en raison de politiques d’austérité. La biodiversité, les écosystèmes, la nature sont des biens communs de l’humanité. Leur protection nécessite des financements publics, mondiaux, assurés par des taxes globales.

« Utiliser le business pour protéger l’environnement »

A Hyderabad, la brûlante question des financements ne se limite pas à celle des montants. Leur provenance, les modalités et mécanismes pour les recueillir sont tout aussi importants. Sous prétexte des échecs – avérés – des politiques menées depuis des dizaines d’années pour enrayer l’érosion de la biodiversité, de nombreux pays, institutions internationales (Banque Mondiale, PNUE, Union Européenne etc.), banques et entreprises multinationales, semblent avoir décidé de remplacer les législations et régulations environnementales par des dispositifs et instruments de marché.

Les documents préparatoires à la COP11 multiplient les références aux « instruments financiers innovants », à la « compensation biodiversité » et aux « paiements pour services écosystémiques ». Un échappatoire que les pays donateurs utilisent pour ne pas s’engager sur des financements publics satisfaisants et contraignants. Niant la complexité, l’unicité et l’incommensurabilité des écosystèmes, cette approche transforme les écosystèmes et les services qu’ils rendent en actifs financiers comparables, quantifiables et échangeables sur des marchés. Pour le plus grand bonheur d’une finance privée en mal de valorisation financière.

Les forêts ? Une simple addition de stocks de carbone, de stations d’épuration d’eau douce et d’abris pour espèces en danger ! La préservation de ces fonctions écologiques serait liée à des décisions d’acteurs financiers et d’entreprises privées. Des dispositifs inefficaces et dangereux, comme le montre l’exemple du commerce du carbone. Et qui ouvrent la porte à une forme de « business as usual », où seul ce qui est financièrement rentable sera protégé.

L’Union Européenne est un des principaux promoteurs de cette financiarisation de la nature. Le commissaire à l’Environnement de l’Union Européenne, Janez Potocnik, a récemment déclaré vouloir généraliser la « comptabilité du capital naturel ». Il souhaite travailler avec la Banque européenne d’investissements (BEI) pour créer des instruments financiers qui facilitent l’investissement privé dans la biodiversité. Et considère d’ailleurs plus généralement qu’il faudrait « passer d’une situation où l’environnement était protégé du business, au fait d’utiliser le business pour protéger l’environnement » !

Des crédits et marchés dédiés à la biodiversité

Les déclarations de Janez Potocnik ne sont pas des paroles en l’air. L’Union Européenne a établi des préconisations en ce sens et les expérimente dans bon nombre de politiques publiques. L’exemple le plus éloquent : le marché du carbone européen qui, malgré ses défaillances internes et son inefficacité incontestable, est érigé en modèle par l’UE. L’Europe utilise des fonds publics pour encourager d’autres États à mettre en œuvre des marchés du carbone similaires.

Le marché carbone européen est pris en exemple pour la biodiversité. La Commission européenne a rédigé une initiative peu connue, appelée « EU habitat banking », qui met l’accent sur de nouveaux systèmes de compensation biodiversité. Concrètement ? Des entreprises dont les activités détériorent la biodiversité ou les écosystèmes pourraient acheter ces certificats sur des marchés dédiés afin de « compenser » leurs activités néfastes. La Commission Européenne souhaite fixer un objectif d’ « aucune perte nette » (no net loss) de biodiversité : un bout de biodiversité détruit ici est considéré comme équivalent d’un autre bout ailleurs. Que ce soit en termes d’espèces, de structure des habitats, du fonctionnement des écosystèmes, voire même de l’utilisation et des valeurs culturelles qui leur sont associées.

Bientôt des centaines de banques de « compensation biodiversité » ?

Le gouvernement français soutient-il ces projets ? En septembre, lors de la Conférence Environnementale, le premier Ministre Jean-Marc Ayrault a annoncé une loi cadre sur la biodiversité pour 2013 et la création d’une agence nationale de la biodiversité. La biodiversité « constitue un capital qui permet le développement de très nombreuses activités économiques », a-t-il précisé… Est-ce l’annonce que la loi cadre incorporera des dispositifs facilitant la financiarisation de la nature ? A l’image du Royaume-Uni, la France va-t-elle faire évaluer par un cabinet d’expertise privé la valeur monétaire de ses écosystèmes et des services qu’ils nous rendent chaque année ?

La France est déjà concernée par des projets de ce type puisque la Caisse des dépôts et consignations (CDC), institution financière publique, a créé une filiale, la CDC Biodiversité, dans la perspective de fournir des crédits de compensation à des maîtres d’ouvrage dont les activités érodent l’environnement. Si la France est encore loin des centaines de banques de compensation existants aux États-Unis, il est prévu que la construction de l’aéroport de Notre-Dame des Landes – qui va nécessairement détruire la biodiversité de cette région de bocage – soit compensée en terme de biodiversité. Des logiques de compensation des zones humides sont également envisagées pour la partie française de la ligne à grande vitesse Lyon-Turin.

La « compensation biodiversité » va-t-elle être stoppée ? Ou au contraire, le gouvernement français va-t-il encourager, en France, en Europe et à l’échelle mondiale, des mécanismes qui mettent l’avenir et la préservation des écosystèmes dans les mains des acteurs et marchés financiers ? Ceux-là mêmes qui nous ont conduit dans le marasme économique actuel.

Notes

[111ème Conférence des Parties de la convention de l’ONU sur la biodiversité

[2A l’occasion de la COP10, ont été adoptés le Protocole de Nagoya sur l’accès aux ressources génétiques et le « partage juste et équitable » des avantages qui en découlent ; le Plan stratégique 2010-2020 visant à stopper l’érosion de la biodiversité ; et la Stratégie de financement visant à augmenter les niveaux actuels d’aide publique au développement (APD) en soutien à la conservation de la biodiversité.

LE SAVOUREUX MYSTÈRE DES CHIFFRES TRUQUÉS

Fabrice Nicolino 2 décembre 2015 – Planète sans visa : 

C’est le troisième article publié par Charlie le 25novembre 2015

De plus en plus goûteux : voilà qu’on apprend que la France oublie de déclarer 50 % de ses émissions de gaz à effet de serre. Et qu’elle se prétend du même coup vertueuse. La COP 21 de décembre commence et finira dans le mensonge tous azimuts.

8000881-12451047Suite d’il y a 15jours (Farces et Attrapes de la COP21). En résumé, la conférence climatique de décembre est une foutaise. Et voilà qu’on découvre l’étonnant travail du Commissariat général au développement durable (CGDD), un machin d’État entre les mains d’ingénieurs des Ponts, des Mines ou du Génie rural. Sous le titre « Les émissions cachées » (1), les auteurs ridiculisent, torpillent et coulent toute la politique française en matière de dérèglement climatique.

Chaque État est censé livrer un inventaire annuel de ses émissions de gaz à effet de serre, destiné à la Convention-Cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC). La France comme le Malawi, la Syrie comme l’Irak, Le Japon comme le Luxembourg. Telle est la base de toutes les discussions sur le sujet. Au cours des 20 COP qui ont précédé celle de la fin du mois, les maquignons du climat ont discutaillé en promettant telle ou telle réduction sur le montant de leurs additions.

Or, écrit le CGDD avec des mots choisis, la France bidonne dans les grandes largeurs. Le chiffre remis à l’ONU pour l’année analysée – 2012 – est de 460 millions de tonnes d’équivalent C02 (le gaz carbonique). Et c’est génial, car tous les politiciens en poste depuis dix ans – Kosciusko-Morizet, Borloo, Batho, Martin, Royal – ont pu répéter en boucle que la politique française, exemplaire, avait permis une baisse régulière sur une vingtaine d’années. Environ 15 % en moins sur la période 1990/2012.

Le malheur est que notre cher pays est un gros arnaqueur, car il oublie opportunément les « émissions cachées » qui, elles, ne cessent d’augmenter. Pourquoi ? Parce qu’elles représentent les émissions de gaz à effet de serre importées

en même temps que les jolis produits bariolés venus des colonies et autres plaisantes contrées. Quand tu achètes un t-shirt fabriqué en Inde, ami lecteur, ou un ordinateur assemblé en Chine, tu achètes aussi, même si c’est invisible, les gaz que leur production a fatalement émis là-bas. Ben oui, tout a un prix écologique.

Et comme la France se désindustrialise depuis 35 ans et qu’elle ne s’emmerde plus à fabriquer de joujoux, de lingerie, de téléphones portables, de meubles ou de médicaments, elle importe de plus en plus massivement. Entre 1990 et 2012, les émissions de gaz made in France ont donc baissé – cocorico ! –, mais celles liées à nos importations ont elles augmenté de 54 %. Au total, il faudrait ajouter aux 460 millions de tonnes déclarées la bagatelle de 211 millions de tonnes importées, soit 671 millions de tonnes au total. Tout bien considéré, les émissions de gaz à effet de serre de la France ont augmenté et continuent d’augmenter. Mais cela, aucun journaliste en cour, aucun journal télévisé ne le dira, laissant le champ libre au bon gros mensonge gouvernemental.

Résumons : la France accueille une vaste foire climatique au cours de laquelle elle jurera ses grands dieux que ses nobles efforts ont fini par payer. Mais ce sera intégralement faux,

car rien n’ayant été tenté pour limiter le commerce mondial de choses inutiles, la situation s’aggrave. Et que dire en ce cas des autres pays, tout aussi truqueurs, sinon plus ? Le bel exemple nous vient de Chine, où les autorités totalitaires en place viennent pour quelque obscure raison de réviser par la dynamite leurs propres statistiques. En 2013, sans que personne ne s’en soit apparemment rendu compte, l’Empire bureaucratique a cramé 600 millions de tonnes de charbon de plus qu’annoncé.  Soit un milliard de tonnes de CO2, qu’il faudrait aussitôt rajouter au bilan mondial si l’on était sérieux.Mais ainsi qu’on sait, ces gens sont de redoutables bouffons.

Dans ces conditions ridicules, faut-il participer, fût-ce loin, à l’immense pantomime qui commence le 30 novembre au Bourget ? Faut-il accepter d’animer les sempiternels ateliers alternatifs et altermondialistes qui fleuriront en marge de la COP21 ? On préférera envoyer se faire foutre les braves organisateurs et leurs amis des médias. À la bonne franquette.

(1) http://www.developpement-durable.gouv.fr/L-empreinte-carbone-les-emissions.html

CLIMAT : QU’Y A-T-IL VRAIMENT DANS L’ACCORD DE PARIS ?

Reporterre – 14 décembre 2015 :

cop21-lobby.pngL’Accord de Paris sur le climat, adopté le 12 décembre, marque une étape, après l’échec de Copenhague, en 2009. Tous les pays, riches et pauvres, sont d’accord pour réduire leurs émissions de gaz à effet de serre, et visent un réchauffement inférieur à 1,5°C. Mais pour le reste, le texte est très décevant. Voici son décryptage.

« Ce marteau est petit, mais il peut faire de grandes choses ! » Telles ont été les paroles de Laurent Fabius, président de la COP21, samedi 12 décembre à 19 h 32, au moment de marquer d’un coup l’adoption de l’Accord de Paris. « Un moment historique », ont jubilé de nombreux pays, après un tonnerre d’applaudissements.

Mais que contient réellement cet accord de Paris ? Est-il, conformément à la formule du ministre des Affaires étrangères, « différencié, juste, durable, équilibré et juridiquement contraignant » ? Reporterre est sceptique : il y a quelques bonnes idées, poussées par les pays en développement les plus vulnérables au changement climatique, mais elles ont été affaiblies au maximum par les pays qui ont encore intérêt à polluer.

- Le texte final, ici ou à télécharger :

La portée juridique de l’accord

L’accord de Paris, qui devrait rentrer en vigueur en 2020, compte 17 pages. Il est précédé d’une « décision » de la COP (Conference of parties) de 22 pages, dans laquelle sont précisés certains points de l’accord, ainsi que l’action à mener avant 2020.

La portée juridique de ces deux documents est différente. La décision de COP a un pouvoir juridique relativement faible : elle peut être contredite par la décision de la COP suivante.

En revanche, l’accord constitue un traité, s’il est ratifié par 55 pays représentant 55 % des émissions, et c’est un acte juridique international dont les dispositions engagent les Etats qui le ratifient.

Cependant, la force juridique d’une proposition dépend de plusieurs critères – place et formulation. Par exemple, une proposition comme « respecter, promouvoir et prendre en considération les droits de l’homme » n’est pas contraignante si elle est placée dans le préambule de l’accord.

Si elle se trouve dans un article, elle est contraignante si elle est formulée au présent ou au futur simple « les parties doivent respecter, promouvoir… », pas contraignante si elle est formulée au conditionnel « les parties devraient respecter… ». Cette nuance entre temps simple et conditionnel est également valable pour la décision de COP. Le document actuel, qui regroupe décision et accord, compte 141 propositions formulées dans un temps simple, et 41 formulées au conditionnel.

Mais la contrainte est toute politique, puisque l’ONU ne prévoit pas de sanction pour les mauvais élèves. Qui ont la possibilité de quitter l’accord trois ans après son entrée en vigueur, sans être inquiétés (article 28).

Ne pas dépasser 1,5°C et plafonner les émissions – mais sans date et sans moyen

Les pays se sont fixé un objectif de long terme réellement ambitieux : « [Contenir] l’élévation de la température moyenne de la planète nettement en-dessous de 2°C par rapport aux niveaux préindustriels et [poursuivre] l’action menée pour limiter l’élévation des températures à 1,5°C par rapport aux niveaux préindustriels » (article 2, paragraphe 1. a)).

Cette mention à une limite de 1,5°C a été portée par les pays les plus vulnérables au changement climatique, en premier lieu les petits Etats insulaires, qui ont réussi à imposer leur volonté face aux réfractaires (Arabie Saoudite, en premier lieu). Cependant, l’accord ne spécifie aucun moyen véritable pour atteindre cette ambition.

Il est seulement précisé que « les parties cherchent à parvenir au plafonnement mondial des émissions de GES [gaz à effet de serre] dans les meilleurs délais, (…) et à opérer des réductions rapidement par la suite, (…) de façon à parvenir à un équilibre entre les émissions anthropiques par les sources et les absorptions anthropiques par les puits de gaz à effet de serre au cours de la deuxième moitié du siècle » (article 4, paragraphe 1).

En clair, cela signifie que les Etats ne devront plus émettre de GES qu’ils ne seraient pas capables d’absorber (en plantant des forêts, en changeant de pratiques agricoles de sorte à améliorer le stockage du carbone dans le sol, etc.).

Cette formulation est décevante, alors qu’une précédente version du texte proposait des objectifs précis de réduction des émissions (40-70 % voire 70-95 % de réduction des émissions en 2050).

Tous les Etats publieront leurs objectifs d’émissions

Chaque Etat doit se donner des objectifs de réduction des émissions de GES, indiqués dans une contribution nationale remise à la Convention-cadre des Nations Unies sur le changement climatique (CCNUCC). Aujourd’hui, 189 pays ont remis leurs contributions.

Mais ces efforts nationaux additionnés ne suffisent pas à contenir le réchauffement sous la barre des 2°C, a fortiori de 1,5°C, comme le reconnaissent les Parties (paragraphe 17 de la décision de COP). Un cycle de révision de cinq ans des contributions nationales a donc été inscrit dans l’accord (article 4, paragraphe 9), ce qui est une très bonne chose. Mais le premier bilan mondial des contributions nationales n’aura lieu qu’en… 2023 (article 14, paragraphe 2). Un peu tard pour rectifier le tir !

Par ailleurs, « la [contribution] suivante de chaque partie représentera une progression par rapport à la [contribution] antérieure et correspondra à son niveau d’ambition le plus élevé possible », indique l’accord (article 4, paragraphe 9). Mais rien de plus précis : l’article 4 (paragraphe 4), qui engageait les pays développés à « montrer la voie en assumant des objectifs de réduction des émissions en chiffres absolus, à l’échelle de l’économie », a été reformulé in extremis au conditionnel par les Etats-Unis, juste avant la plénière de clôture de la COP (comme raconté dans Le journal de la COP).

Ce travail commun de publication des « contributions », avec date et méthodologie commune, constitue le coeur opérationnel de l’Accord de Paris, sa seule vraie exigence : tout le monde publiera ses données et ses objectifs, et l’on espère que l’émulation entrainera le mouvement. Ceci prolonge une disposition inscrite dès… 1992 dans la Convention sur les changements climatiques : son article 4.1.a prévoyait l’établissement, la mise à jour périodique et la publication des « inventaires nationaux des émissions ».

Aucune action concrète pour limiter les émissions

Pire, les moyens concrets de lutte contre le changement climatique sont éjectés de l’accord et renvoyés à des décisions ultérieures des COP (la prochaine aura lieu en novembre 2016 à Marrakech, au Maroc), à la portée juridique moindre. Les énergies renouvelables ne sont mentionnées que dans le préambule de la décision, et encore, seulement en ce qui concerne les pays en développement et en particulier l’Afrique. Rien sur les émissions liées aux transports maritimes et aériens, ni sur les énergies fossiles. La mise en place d’un prix du carbone n’est mentionné que dans la décision (paragraphe 137). Par contre, l’accord ne ferme pas la porte aux marchés carbone (article 6), sur lesquels les pays riches « achètent » le droit de polluer chez eux à condition de compenser leurs émissions dans les pays en développement.

Les pays pauvres victimes du réchauffement privés de recours juridique

Principale victoire des pays les plus vulnérables, la mention d’une limite de réchauffement de 1,5°C. Pour le reste, les principales revendications apparaissent, mais reléguées dans la décision de COP ou dans le préambule. Tout a été bordé pour que les recours juridiques des pays en développement contre les pays développés, pour les obliger à assumer leurs responsabilités de pollueurs historiques, soient quasiment impossibles.

Les pertes et dommages victimes d’une catastrophe non-climatique

Autre revendication importante des pays les plus vulnérables, la mise en place d’un mécanisme de « pertes et dommages » – sorte d’assurance pour les aider à se relever après une catastrophe climatique type typhon, tempête, inondation, etc. Ce mécanisme fait bien l’objet d’un article à part dans l’accord (article 8). Seul problème, il est vide. Tout juste les parties reconnaissent-elles la « nécessité de réduire au maximum les pertes et préjudices » et évoquent-elles le mécanisme international de Varsovie, sans indiquer des objectifs d’aide financière chiffrés. Pire, la décision de l’accord précise que « l’article 8 de l’accord ne peut donner lieu ni servir de fondement à aucune responsabilité ni indemnisation » (paragraphe 52).

Les 100 milliards de dollars continuent à jouer l’Arlésienne

En 2009, lors de la conférence de Copenhague, les pays développés avaient promis aux pays en développement de leur fournir 100 milliards de dollars de financements climat, chaque année à partir de 2020. Les pays en développement étaient arrivés à la COP21 avec trois revendications relatives à ces 100 milliards : 1) la garantie d’arriver à rassembler cette somme, 2) le respect d’un équilibre entre aide à l’atténuation (déploiement d’énergies renouvelables, par exemple) et l’aide aux projets d’adaptation aux changements climatiques (construction de digues pour lutter contre la montée du niveau des mers, par exemple), et 3) la promesse que ces 100 milliards constitueront un plancher, régulièrement rehaussé après 2020.

La récolte est maigre. La somme de 100 milliards associée à la notion de plancher a été rejetée de l’accord et reléguée dans la décision de COP (paragraphe 115). L’accord lui-même ne comporte sur ce point aucun objectif chiffré, et seulement des propositions au conditionnel : « Cette mobilisation de moyens devrait présenter une progression par rapport aux efforts antérieurs » (article 9, paragraphe 3) et « la fourniture de ressources financières accrues devrait viser à parvenir à un équilibre entre l’adaptation et l’atténuation » en tenant compte de « la nécessité de prévoir des ressources d’origine publiques et sous forme de dons pour l’adaptation » (article 9, paragraphe 4). Rien non plus sur le fait que ces financements seront additionnels à l’aide au développement déjà apportée, ce qui laisse craindre que des petits malins se contenteront de requalifier en « financements climat » l’aide déjà apportée par ailleurs.

COP21 : LE BUSINESS DU RÉCHAUFFEMENT CLIMATIQUE

Le Figaro – le 27/11/2015 :

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A la veille du début de la COP21 à paris, Charles Wyplosz estime que si la lutte contre le réchauffement est justifiée et mérite des sacrifices, il est hypocrite d’affirmer qu’elle permettra une nouvelle de croissance.

La COP21 sera un énorme succès. Chaque chef d’État se félicitera de son audace et de l’importance des accords. Il y aura un copieux catalogue d’objectifs ambitieux, une liste interminable d’actions promises et même des promesses de fonds impressionnantes. Le seul couac sera à cause de cette maudite planète, qui va continuer à se réchauffer, bien au-delà des deux degrés. Mais c’est avant tout une histoire de gros sous.La lutte contre le changement climatique n’est pas gratuite. Ce qui est en jeu, c’est aussi la croissance économique. Quoi? Ne nous promet-on pas des progrès technologiques extraordinaires? Bien sûr que l’une des clés du problème c’est la mise au point de nouvelles technologies pour produire plus d’énergie et pour en consommer moins. Mais ces innovations coûtent cher, pour les inventer et les mettre en œuvre. Si elles sont rentables, des armées d’inventeurs et d’entrepreneurs les découvriront et les produiront spontanément, et chaque utilisateur sera ravi des les acquérir. Oui mais, s’il faut les financer, c’est que la rentabilité n’est pas assurée. Certes, les innovateurs peuvent avoir la vue courte, ou ne pas trouver des investisseurs pour financer leurs efforts. C’est bien connu, les financiers ont la vue courte et les gouvernements sont seuls capables de penser au long terme. C’est peut-être vrai dans de rares occasions, mais la règle c’est que les gouvernements ont tendance à se laisser berner par des promesses ronflantes pour une bonne raison: ce n’est pas leur argent qu’ils investissent, mais celui de leurs contribuables. En France, nous en avons une longue expérience, depuis le Concorde jusqu’à Alstom, en passant par le plan calcul et Honeywell-Bull.

Dans l’écrasante majorité des cas, il faudra de l’argent public pour financer ces nouvelles technologies parce qu’elles ne se seront pas rentables en l’état. On pourra les rendre rentables en adoptant de nouvelles réglementations. Ces réglementations ont pour but soit de rendre l’énergie plus chère, soit de subventionner les technologies. Dans tous les cas, on aura consacré des ressources à produire des choses qui ne sont pas économiquement viables. Et ça, ça a un coût en termes de croissance. La lutte contre le réchauffement est mille fois justifiée, elle mérite des sacrifices, mais affirmer que ce sera une nouvelle de croissance est une supercherie.

En fait, tout ce beau monde le sait bien. Les pays en développement, par exemple, traînent les pieds depuis la première COP en affirmant que c’est leur tour de polluer pour croître, comme l’ont fait les pays avancés depuis le début de la révolution industrielle. La Chine a fini par changer d’avis, et encore, parce que ses villes industrielles vivent dans un petit nuage jaunâtre. L’Inde n’en est pas encore là, mais elle y viendra pour la même raison. Sous la pression des faits, on acceptera de sacrifier des revenus pour essayer d’éviter une trop grosse catastrophe.

De fait chaque pays cherche à déterminer combien ça lui coûtera de ne rien faire et combien ça lui coûtera de contenir le changement climatique. Un calcul froid et rationnel. Comme ça dépend de ce que font les autres, la tentation est d’en faire moins en comptant sur les autres pour faire plus. Évidemment, ça ne peut pas marcher. C’est pourquoi la COP est absolument nécessaire. Pour qu’elle remplisse son rôle, cependant, il faut être honnête et reconnaître que l’on parle de partager les coûts pour le bien commun, et non pas prétendre que l’on est sur le point de découvrir la pierre philosophale.

Si l’énergie plus chère et les subventions aux innovations représentent un frein à la croissance, ce n’est pas de l’argent perdu pour tout le monde. C’est une belle opportunité de faire de jolies fortunes. Vous avez sûrement remarqué toutes ces compagnies qui axent leur publicité sur leur ardeur verte, surtout celles qui ont fait leur beurre en polluant pendant des décennies. Elles connaissent le métier et n’ont qu’à se réorienter pour capter la manne qui tombera de la COP si de bonnes décisions sont prises. C’est d’ailleurs là la clé du succès de la lutte contre le changement climatique. Ces compagnies sont puissantes et influentes. Elles sauront convaincre leurs gouvernements si c’est leur intérêt. C’est peut-être cynique, mais tous ces braves gens qui militent contre le changement climatique auront atteint leur but quand cette lutte sera devenue un business profitable. Les consommateurs seront tondus pour alimenter les profits des entreprises dans ce nouveau secteur en pleine croissance. Mais ce sera pour la bonne cause.