LE SOMMET SUR LES OCÉANS A DONNÉ LE FEU VERT AU CAPITALISME BLEU

Reporterre, le 12 février 2022 :

Peu d’avancées concrètes ont été réalisées à Brest, au One Ocean Summit. Qui s’est transformé en festival de « la croissance bleue » et avalisé l’exploration des fonds marins.

Brest (Finistère), reportage

Brest. Son crachin, ses sous-marins nucléaires, ses silos de soja du Brésil, ses paquebots à quai, son nouveau polder consacré aux énergies renouvelables… et son One Ocean Summit. Du 9 au 11 février, ce sommet international souhaité par Emmanuel Macron a réuni des représentants du milieu scientifique, des jeunes entreprises, des ONG libérales, des multinationales, banques, assurances, et un nombre de chefs d’État bien plus petit que ce qui avait été annoncé au début (une vingtaine seulement, dont le dictateur égyptien Abdel Fattah al-Sissi, qui accueillera la COP27 à l’automne).

En huis clos, dans les anciens entrepôts qui surplombent le port militaire, chacun, de TotalEnergies à Nestlé, a pu partager ses solutions pour lutter contre les pollutions marines et contribuer à ce que l’océan puisse encore jouer son rôle de régulateur du climat. Un entre-soi très « business-friendly », où l’on s’échange les cartes de visite entre hommes et femmes d’affaires, et où l’on se rencontre en tête-à-tête dans des salles privées. Les journalistes, eux, n’ont pas eu le droit d’être présents dans la salle pour écouter les (multiples) prises de paroles d’Emmanuel Macron, des PDG et chefs d’État le vendredi matin11 février, jour des annonces.

Malgré les grands discours, les déclarations concrètes sont restées limitées. Rien sur la surpêche qui, comme l’exploration minière sous-marine, a été reléguée dans les couloirs, pendant les pauses entre les grosses conférences, devant à peine une vingtaine de personnes.

Dans le cadre du Blue Climate Initiative, des prix à l’innovation ont été remis à différentes entreprises; comme ici la création d’un resort de luxe écologique, sur un atoll privatisé pour que les touristes se «reconnectent avec la nature». © Juliette Cabaço Roger/Gwenvaël Delanoë/Reporterre

Concernant le grand enjeu du plastique, 2 milliards d’euros supplémentaires ont été attribués par les banques européennes d’investissement pour financer des projets luttant contre cette pollution. Mais pas de décision politique forte ni de réglementation contraignante sur la production des plastiques à usage unique. La France annonce tout de même, avec la loi anti-gaspillage, être en passe de supprimer les emballages plastiques à usage unique d’ici 2040.

Des manifestants au One Ocean Summit de Brest. © Juliette Cabaço Roger/Gwenvaël Delanoë/Reporterre

Plus d’aires marines protégées… et d’exploration minière

Des avancées diplomatiques sont tout de même à noter, comme les accords du Cap de l’Organisation maritime internationale, qui devraient être ratifiés prochainement, permettant une meilleure protection sociale des marins. Côté biodiversité, une trentaine d’États supplémentaires (soit plus de 80 pays au total) ont rejoint les objectifs de 30 % d’aires marines protégées dans l’océan. La France a annoncé avoir dépassé cet objectif avec un décret signé vendredi matin, qui agrandit la réserve naturelle des Terres australes (1,6 million de kilomètres carrés). Pour sa part, la Polynésie s’est engagée à développer un réseau de réserves marines de 500 000 km².

Cet objectif d’agrandissement des aires marines protégées est soutenu par plusieurs ONG écologistes, mais décrié par d’autres comme étant une « privatisation de l’océan » et une forme de « colonialisme bleu ». Car de nombreuses aires marines sont prévues dans les pays du Sud, soutenues par des investissements massifs de multinationales. « Ça pollue au Nord et on nous demande de serrer la ceinture, de servir de poumon pour le reste, sans pour autant que l’on nous apporte de l’aide, a dénoncé Arlette Soudan-Nonault, ministre de l’Environnement du Congo. Nous ne mendions pas, nous disons simplement que nous voulons une démarche équitable. » Coordonnant la Commission climat du bassin du Congo et ses seize pays, elle a déploré ne pas avoir été consultée : « J’ai reçu une simple invitation avec la liste des thématiques quinze jours en amont. »

Pendant les échanges, Joachim Claudet, chercheur au CNRS, a tout de même averti : « Il faut des aires de protection forte, sinon les impacts sont moindres ; il faut augmenter la protection des aires déjà existantes. » Autrement dit, « ces aires marines […] ne sont pas du tout protégées ! », selon l’association contre la surpêche Bloom, qui a qualifié le le sommet de « flop diplomatique ». Car

le statut d’aire marine protégée n’empêche pas l’industrie minière sous-marine, en plein essor, de lorgner sur leurs fonds marins.

« Il n’y aura pas d’exploitation minière dans les aires “en protection forte” », a rassuré Benoît Faraco, conseiller écologie à l’Élysée. Mais quid de celles qui ne sont pas sous ce label ?

Les sujets qui fâchent, comme ici l’exploration minière en eaux profondes, ont été relégués au «Blue Hotspot», un espace dans le hall où pendant 20 minutes plusieurs intervenants ont débattu. © Juliette Cabaço Roger/Gwenvaël Delanoë/Reporterre

Cela ne figure pas parmi les engagements officiels du One Ocean Summit, mais Benoît Faraco a annoncé à la presse que « le président de la République a lancé au niveau national, dans le cadre de France 2030, un grand programme qui vise à permettre l’exploration des grands fonds marins en débloquant plusieurs centaines de millions d’euros sur les dix prochaines années ». Tout en rajoutant, au grand dam des écologistes : « Ces ressources seront sans doute exploitées, si elles ne le sont pas par la France, elles le seront sans doute par d’autres grandes puissances. » Un mur de Brest. © Juliette Cabaço Roger/Gwenvaël Delanoë/Reporterre

« Verdir » le trafic maritime

Dans une stratégie de coopération public-privé, le sommet s’est enorgueilli d’avoir associé une vingtaine d’armateurs européens au label Green Marine Europe, qui prend en compte tout un panel de nuisances allant de la pollution sonore, des rejets huileux aux émissions de CO2. Quant aux fumées noires des paquebots à quai, qui, comme à Marseille, empoisonnent l’air des habitants, elles devraient être considérablement réduites : une dizaine de ports se sont engagés à raccorder les bateaux au réseau électrique lorsqu’ils seront au mouillage, pour leur éviter de faire tourner leurs moteurs au fuel.

Tout sera fait pour « verdir » le trafic maritime et bâtir des « navires zéro émission », ont clamé les multinationales CMA CGM, Maersk, MSC, TotalEnergies, EDF. Et les start-up, très représentées, en ont profité pour promouvoir leurs innovations techniques permettant de limiter certaines nuisances environnementales. Les cargos à la voile ont le vent en poupe, mais restent souvent au stade de prototypes. De multiples carburants « alternatifs » sont à l’étude, comme le GNL (gaz) ou l’ammoniac, mais de nombreux tests restent à effectuer avant une généralisation.

Le port de Brest, avec ses silos remplis de soja brésilien, ses paquebots et un méthanier. © Juliette Cabaço Roger/Gwenvaël Delanoë/Reporterre

Et réduire le trafic maritime, pour diminuer les pollutions et émissions de gaz à effet de serre ? La question n’a jamais été mise sur la table. Logique : la « croissance bleue » a été sur toutes les lèvres, à aucun moment n’a été envisagée la possibilité de freiner ou limiter l’expansion des industries du fret et du tourisme. Le Club Med et les croisiéristes Le Ponant et Costa Croisières ont même souligné leurs efforts en matière d’environnement, en dépit des fortes pollutions qu’engendrent les paquebots.

De leur fabrication à leurs radoubs, et jusqu’à leurs désossements, c’est toute la vie des navires qui est à verdir. Ce que rappellent les épaves de navires militaires qui pourrissent toujours, depuis des années, à quelques brasses de là en fond de rade de Brest. « Dans la phase de déconstruction, on a fait énormément de progrès », permettant à la fois « réduction des déchets » et « gains économiques », s’est pourtant flatté Éric Papin, directeur de Naval Group. Le constructeur de navires militaires est, a-t-il assuré, « un acteur engagé dans la protection environnementale ». Même s’il a reconnu que la prise en compte de l’impact écologique dépend surtout des priorités voulues par ses clients, il a souligné que les « sous-marins sont des précurseurs dans l’hybridation énergétique », et que plusieurs navires utilisent la propulsion nucléaire, « qui est vertueuse ». Les ouvriers irradiés de la base de l’Île-Longue, en face de Brest, apprécieront.

Dehors, dans la rue, la « vertu » de l’industrie a fait grincer des dents : « J’adore la mer, et pourtant, j’en ai foutu des saloperies dedans : de l’antifouling [peinture pour la coque des navires], du plomb… », raconte un ancien employé des chantiers navals brestois, qui confie être tombé malade à cause de l’amiante. Aujourd’hui, il participe à la manifestation opposée au One Ocean Summit, à l’extérieur. « Je suis ici pour l’avenir des jeunes. »

Tout au long des trois jours de sommet, plusieurs actions et manifestations comme celle-ci ont tenté de s’opposer aux logiques capitalistes du One Ocean Summit, mais la mobilisation est restée faible. « Nous, pêcheurs, on n’est pas invités à ce genre de sommets, a regretté Philippe Calone, patron-pêcheur venu de Normandie pour manifester, aux côtés d’associations écologistes et de syndicats. Malheureusement, l’économie bleue ne comprend pas la pêche, elle va détruire la biodiversité et industrialiser la mer. Et la pêche artisanale est très clairement en danger. »

Calmez-vous Madame la Mer, ça va bien se passer

Association Robin des Bois, le 11-02-2022 :

One « One Ocean Summit »

Afficher l’image source

A Brest, à Bruxelles, à New York, dans le monde entier, tous les Copains des COPs et des Sommets vous le disent en chœur, le cœur sur la main. Vos merlans on va en faire du rimmel et du pâté, vos abysses on va les désalguer avant de les dézinguer, on va tout étiqueter et mettre ça dans les musées, vos vents on va les capter et les vendre au watt sur le marché, on vous reversera le millionième de ce qu’on va gagner, le CO2 on va le planquer sous vos dessous, quand il s’échappera comme un feu follet il tuera les baleines, ces grosses vaches qui viennent s’échouer chez nous comme si elles regrettaient d’être chez vous, les falaises on va les fissurer et faire tomber la craie pour vous amender, avec les EPR on va vous réchauffer de quelques degrés et vous aussi, ce n’est que justice, vous passerez des hivers douillets, calmez-vous Madame ça va bien se passer

Afficher l’image source

et on a encore pour vous de grands projets, les noces de Neptune et de la tune vont être célébrées, bientôt sur vos flots sacrés navigueront des convois déshumanisés, finis ces équipages de soudards et de soutiers métissés, ces galériens qui nous coûtent cher et n’en finissent pas de vous polluer, nous allons vous offrir une flotte de robots aussi précis que les métros, des Rolls du Big business et du High tech qui transporteront sur votre dos des armes, des biens et des déchets porteurs d’espérance et de prospérité, calmez-vous Madame, ça va bien se passer.

 

LA POLLUTION SILENCIEUSE DU TRANSPORT MARITIME

Prise de terre, 23.09.2017 :

Environ 50 000 gros navires constituent la flotte commerciale mondiale qui effectue 90% du transport de marchandises. Au chapitre des gaz à effet de serre, ce mode de transport est bien meilleur que les autres. La pollution causée par le transport maritime est dʹune autre nature, il sʹagit du soufre et de ses corollaires: particules fines, oxyde dʹazote, etc. Le transport maritime est responsable dʹau moins 60’000 décès prématurés par an.


Le Monde.fr | :

La pollution du transport maritime plus dangereuse que celle du transport automobile

Des études révèlent que le carburant des navires, qui émet beaucoup d’oxydes de soufre, est à l’origine de 60 000 morts prématurées en Europe.

3ab10ff_19483-1n7evetMardi 21 juillet, tandis que la ministre de l’écologie Ségolène Royal décidait de reporter ses annonces pour lutter contre la pollution de l’air, des associations environnementales mettaient les projecteurs sur une source méconnue d’émissions de polluants : France nature environnement (FNE) et l’ONG allemande NABU lançaient, depuis le port de Marseille, une campagne de sensibilisation sur la pollution générée par le transport maritime. Une pollution plus dangereuse que celle du transport automobile.

Les navires marchands comme les bateaux de croisière utilisent essentiellement comme carburant un fioul lourd, sous-produit du pétrole, qui émet en grandes quantités de particules fines, des oxydes d’azotes, et surtout, des oxydes de soufre. Ce polluant est l’un des principaux facteurs à l’origine du problème d’acidification des pluies et se révèle très toxique pour la santé humaine.

Dans une étude publiée début juin, l’université de Rostock et le centre de recherche sur l’environnement allemand Helmholtz Zentrum Munich établissent un lien sans équivoque entre les gaz d’échappement des cargos et des maladies graves. A l’origine de maladies pulmonaires et cardiovasculaires sévères, les émissions du transport maritime, selon cette étude, provoquent 60 000 décès prématurés par an dans l’Union européenne. Coût pour les services de santé européens : 58 milliards d’euros.

Combustibles non taxés

Les habitants des régions côtières courent le plus de risques, selon ces chercheurs qui estiment que la moitié de la pollution de l’air liée aux particules dans les zones côtières et portuaires provient des émissions de bateaux. Des données provenant des services de surveillance de la santé publique de Long Beach dans le district de Los Angeles (Etats-Unis) révèlent que les populations vivant à proximité de l’enclave portuaire connaissent des niveaux d’asthme, de maladies cardiovasculaires et de dépression supérieurs de 3 % en moyenne à ceux des autres habitants de la ville.

DETECTION DE POLLUTION MARITIME VOLONTAIRE .png

Détection de pollution maritime volontaire

Si des mesures ont été prises pour réduire les polluants issus du diesel utilisé par les voitures et camions, les carburants maritimes, bien plus toxiques, restent étonnamment peu réglementés. « Les carburants maritimes ont une teneur en soufre plus de 3 000 fois supérieure à celle des carburants utilisés par les voitures et les camions. Pourtant, le transport routier paie des taxes sur les carburants et le transport maritime utilise des combustibles non taxés », souligne Adrien Brunetti, coordinateur du réseau santé environnement de FNE.

« La priorité doit être de changer le carburant des bateaux commerciaux. Même si le transport maritime passait au diesel utilisé pour les voitures, on réduirait déjà sensiblement leur pollution », relève Adrien Brunetti, de France nature environnement

La réglementation dans ce secteur est essentiellement internationale. La convention Marpol (pollution marine) établie par l’Organisation maritime internationale a mis en place des zones d’émissions contrôlées dans lesquelles les teneurs en soufre des carburants sont réglementées (Sulphur Emissions Control Areas, SECAs). Ainsi, depuis le 1er janvier, en Manche, dans la mer Baltique et la mer du Nord, comme dans presque toutes les zones côtières américaines et canadiennes, les navires ne peuvent plus utiliser de carburant contenant plus de 0,1 % de soufre. « En Méditerranée, où les taux peuvent s’élever jusqu’à 4 %, ce seuil ne s’appliquera qu’à partir de 2020 ou 2025 », déplore France nature environnement, dénonçant le manque de volonté des Etats participant à la convention Marpol, et notamment de la France.

La France mise en demeure

Le 29 avril, l’Hexagone s’est d’ailleurs vu adresser par la Commission européenne une mise en demeure pour retard dans la transposition de la directive « soufre » réglementant les émissions dégagées par les navires. Déclinaison de la convention Marpol, cette directive, adoptée en octobre 2012, impose aux Etats membres de faire respecter les seuils limites prévus dans les SECAs. Sa transposition devait être achevée le 18 juin 2014.

Il a fallu attendre la loi de transition énergétique pour que la France prenne une première initiative pour lutter contre cette pollution des navires. Ce texte qui doit être définitivement voté ce mercredi 22 juillet, prévoit que « l’État favorise, notamment en soutenant des opérations pilotes, l’installation de systèmes de distribution de gaz naturel liquéfié et d’alimentation électrique à quai dans les ports pour les navires et les bateaux ».

« Coûteux pour les finances publiques, ce type d’installations ne vise qu’à limiter les émissions des navires à quai. Il ne s’attaque pas au cœur du problème. La priorité doit être de changer le carburant des bateaux commerciaux. Même si le transport maritime passait au diesel utilisé pour les voitures, on réduirait déjà sensiblement leur pollution », relève Adrien Brunetti, qui observe qu’un peu partout dans le monde, des initiatives sont prises par les autorités portuaires pour encourager la diminution de soufre dans les carburants. Dans les ports de Seattle ou de Houston par exemple, une compensation est versée aux armateurs pour le surcoût qu’entraîne le changement de carburant. Le port de Singapour, lui, module ses taxes portuaires en fonction du type de carburant.

Il serait déjà possible de limiter les émissions de soufre émises par les cargos en filtrant leur gaz d’échappement. Les navires de croisière notamment circulent en effet sans aucun système de filtration. « Des filtres à particules sont bien installés sur les véhicules automobiles. Pourquoi, interpelle encore Alain Brunetti, n’en va-t-il pas de même pour les navires, alors que les carburants sont beaucoup plus polluants ? »

A voir ou à revoir …

ACTUALISATION…  LE MONDE | :

Michiko Ishimure - minamata - chiso.jpg

L’écrivaine japonaise Michiko Ishimure.

Une grande dame s’est éteinte : Michiko Ishimure, écrivaine qui révéla aux Japonais les souffrances des victimes de la maladie de Minamata (intoxication par le mercure) est morte le 10 février à Kumamoto. Elle avait 90 ans. (She died early Saturday due to acute exacerbation of Parkinson’s disease.) Elle fut la voix des 10 000 personnes qui ont été officiellement atteintes de cette maladie affectant le système nerveux central.

A l’écoute des victimes

Michiko Ishimure rompit cette conspiration du silence qui contribua à contaminer la mer pendant des décennies. Elle ne fut certes pas seule à militer pour que la lumière soit faite et que les victimes soient dédommagées mais, par son empathie pour celles-ci, la trilogie qu’elle publia en 1959, Mer de souffrance, terre de lumière (Paradise in the Sea of Sorrow : Our Minamata Disease, University of Michigan, 2003) eut un retentissement particulier, s’inscrivant dans ce que l’on appellerait aujourd’hui la « narration littéraire documentaire ».

Née le 11 mars 1927 dans le village de Kawaura sur l’île Amakusa, elle avait grandi à Minamata (département de Kumamoto, dans le Kyushu) sur la rive opposée de la mer de Shiranui. Institutrice, elle avait découvert en se rendant à l’hôpital, où avait été hospitalisé son fils, les premiers malades souffrant de cette maladie mystérieuse qui n’épargnait pas les enfants, dont beaucoup naissaient avec des infirmités motrices et cérébrales lourdes. Un faisceau de symptômes (poissons morts, chats pris de spasmes convulsifs…) allait permettre de conclure à un empoisonnement de la mer. La maladie fut reconnue en 1956 mais,

jusqu’en 1968, l’usine chimique Chisso qui déversait du méthyle-mercure dans la mer et l’État, nièrent toute responsabilité.


10 janv. 2013

En 1907, le fondateur de la compagnie Chisso, Jun Noguchi, installe une usine pétrochimique à Minamata, au sud-ouest du Japon. La main-d’œuvre est principalement locale mais les cadres dirigeants sortent des plus hautes universités japonaises. À partir de 1932, cette usine rejette de nombreux résidus de métaux lourds dans la mer dont du mercure. L’oxyde de mercure est utilisé comme catalyseur pour la synthèse de l’acétaldéhyde CH3CHO. Vingt ans plus tard, les premiers symptômes apparaissent (de nombreux problèmes liés au système nerveux, par exemple la perte de motricité) et la première description de la maladie remonte à 1949. À cette époque, on considère l’entreprise Chisso comme un exemple de réussite économique : c’est une des rares entreprises qui ont su continuer à fonctionner durant la guerre.

Suite notamment à la consommation de poissons, on compta près de 900 décès de 1949 à 1965. La firme a par ailleurs reconnu 2 200 malades officiels mais a payé près de 10 000 personnes atteintes pour qu’ils arrêtent les poursuites judiciaires (22 000 dollars chacun). Des mères ne présentant aucun symptôme ont donné naissance à des enfants gravement atteints (malformations plus ou moins lourdes, handicaps divers ou multiples, enfants mort-nés…).

En 1959, le docteur Hajime Hosokawa, employé de la firme Chisso, acquit la certitude, suite à des expériences qu’il mena sur des chats, que les phénomènes observés étaient liés à la pollution par le mercure. On avait, en effet, remarqué que les chats du port devenaient fous jusqu’à se jeter dans la mer pour s’y noyer. Ceci apportait une note apocalyptique au mal qui touchait la ville, mais permit de faire le lien avec la population la plus touchée : les familles de pêcheurs. Les poissons tenaient une part importante dans l’alimentation de ces deux groupes.

Les déversements de mercure continuèrent jusqu’en 1966 où un procédé de synthèse plus économique (et accessoirement moins polluant) fut mis en place. Durant toute cette période (1932-1966), environ 400 tonnes de mercure furent rejetées dans la baie.

À partir de 1977, les boues contaminées furent traitées et stockées.

En 1993, le mariage du prince héritier Naruhito avec la petite-fille de Yutaka Egashira, président de Chisso à l’époque des faits, provoqua une indignation passagère au Japon.

Il fallut attendre 1996 pour que l’État propose un compromis pour indemniser l’ensemble des victimes.

A la date de 2009, 53 ans après le début officiel de la maladie (mai 1956), plus de 13 000 malades ont été reconnus par l’entreprise et l’État :

2 955 personnes reconnues par les comités préfectoraux ;
51 personnes, à l’issue de la décision de la Cour suprême en 2004 ;
10 353, lors du compromis politique de 1995/96.
Mais près de 25 000 sont encore en attente d’une décision :

6 103 attendent une décision du système de reconnaissance ;
17 780 reçoivent un certain suivi médical, mais il ne donne pas droit à une indemnisation et une reconnaissance de jure ;
1 509 sont encore en procès avec l’État.
Et par-delà ce décompte, il reste difficile de savoir exactement combien de personnes ont été touchées.

Il existe, à long terme, une augmentation sensible du nombre de leucémies.

Extrait du documentaire « Les Voies du Chat », 2009 de Myriam Tonelotto, éditions La Bascule

L’ARMÉE CANADIENNE ENQUÊTE SUR UN MYSTÉRIEUX "BRUIT"DANS L'ARCTIQUE

Science & Avenir – Le 09.11.2016 :

une-patrouille-militaire-et-des-specialistes-de-l-acoustique-vont-etre-depeches-dans-l-arctique-image-sud-ouest

« Un étrange bruit sous-marin, dans une région reculée de l’Arctique, ferait fuir les mammifères de la région depuis cet été. Les militaires canadiens ont mené l’enquête, sans réussir pour l’instant à lever le voile sur cet étrange phénomène.

Quel est donc ce bruit insolite qui fait fuir les animaux dans l’Arctique canadien ?  L’affaire a commencé dès le mois de juin, dans le détroit de Fury and Hecla, à 120 kilomètres du hameau d’Igloolik, dans la province du Nunavut. Des chasseurs locaux rapportent avoir entendu des sortes de bourdonnements (« hums ») ou de cliquètements (« bips ») émanant du fond de la mer et pouvant être entendus à travers la coque des bateaux. Des plaisanciers empruntant ce passage confirment l’information, affirmant avoir également capté cet étrange signal avec leur sonar ainsi qu’ils l’ont expliqué sur les ondes de la radio locale d’Igloolik. Dans le même temps, les chasseurs ont constaté la disparition des animaux marins dans cette région également connue sous le nom d’Aukkannirjuaq en Inuktitut, pourtant réputée pour son extraordinaire biodiversité. Cette polynie (zone non gelée), formée d’un courant tiède qui lui permet de rester libre de glace même en hiver, est de fait la voie migratoire habituelle des baleines boréales, du phoque barbu et du phoque annelé. Fin octobre, le député Paul Quassa, s’est ému de la situation devant l’Assemblée législative du Nunavut, soulignant le côté suspect du phénomène et le probable lien entre anomalies acoustiques et raréfaction de la faune effrayée.

Sollicitées par le gouvernement du Nunavut, les forces armées canadiennes ont dépêché sur place une équipe chargée de mener l’enquête. Début novembre, au cours d’une mission baptisée « Opération LIMPID », un avion CP-140 Aurora équipé de nombreux capteurs – notamment acoustiques – a sillonné la zone pendant une heure et demi. En vain. Aucun bruit suspect n’a été perçu. L’équipage de l’avion a en revanche pu observer deux baleines et six morses à cet endroit.

Plusieurs pistes évoquées

Illusion collective ? Coïncidence fortuite ? Pas si sûr. Si personne ne sait exactement d’où provient le bruit ni s’il est réellement lié à la disparition des animaux, plusieurs pistes sont évoquées pour l’expliquer. La première implique la Baffinland Iron Mines Corporation qui a, par le passé, cartographié le fond marin à l’aide de sonar. Mais la compagnie minière a démenti avoir utilisé récemment de tels équipements sur place. Par ailleurs, le Nunavut Research Institute  et les autres agences officielles affirment n’avoir délivré aucun permis de travaux sous-marins pour ce secteur. La deuxième hypothèse met sur la sellette l’ONG Greenpeace qui, selon une rumeur, utiliserait des sonars pour protéger les mammifères des Inuits en les éloignant ainsi des sites de chasse. Là encore, aucune preuve ne permet d’appuyer cette idée. Quant à la piste de sous-marins étrangers en opération discrète sous la banquise et émettant des fréquences aiguës semble pour le moment écartée. Mais le département de la défense nationale à Ottawa, qui possède une ancienne base militaire à 70 km de Igloolik, mène encore l’enquête. La réalité pourrait-elle être plus triviale ? Ce bruit mystérieux pourrait en effet provenir de n’importe quel équipement sonore tombé de l’un des nombreux bateaux qui empruntent désormais le Passage du Nord-Ouest, libre de glaces désormais l’été, à la faveur du réchauffement climatique. »