Un milliard d’euros ont été dépensés pour rendre ‘socialement acceptable’ l’enfouissement de déchets nucléaires

BASTA – le 27 mars 2018 :

BURE-DECHETS NUCLEAIRES-arton6643.jpgLe projet d’enfouissement des déchets nucléaires pressenti à Bure, dans l’Est de la France, doit faire l’objet d’un troisième débat public d’ici la fin de l’année. Mais dans quelles conditions ? Depuis 2000, des sommes considérables d’argent public ont inondé les départements de la Meuse et de Haute-Marne, censées favoriser l’« acceptabilité » sociale du projet. Basta ! a fait le compte : ce ne sont pas moins de 1,1 milliard d’euros qui auraient déjà été déversés localement par les principaux acteurs de la filière nucléaire. Plusieurs centaines de millions d’euros pourraient encore arroser les deux départements.

La Meuse, ses 190 000 habitants, son taux de chômage à 14 %, son projet d’enfouissement des déchets radioactifs à Bure… Et les centaines de millions d’euros déversés depuis 25 ans par l’État pour faire accepter ce que les opposants nomment une « poubelle nucléaire » : le stockage de 85 000 m³ de déchets radiotoxiques à plus de 500 mètres de profondeurs, sous une couche de roche et d’argile. Le fameux projet Cigéo, porté par l’Agence nationale de gestion des déchets radioactifs (Andra), est censé résoudre le casse-tête du stockage des déchets nucléaires « à vie longue », issus des centrales, dont certains émettent une radioactivité pendant plusieurs de centaines de milliers d’années.

« Accompagnement économique » ou « achat des consciences » ?

L’État et les entreprises impliquées, EDF et Orano (ex-Areva), n’ont pas lésiné sur les moyens pour rendre acceptable le choix de Bure, petit village de la Meuse, pour accueillir tout ce que l’industrie nucléaire française produit comme déchets mortels. Selon nos calculs – aucun comptage officiel n’ayant été réalisé –, plus d’un milliard d’euros ont été dépensés dans les deux départements concernés, la Meuse et la Haute-Marne (voisin de Bure), via un complexe enchevêtrement d’aides directes, indirectes et d’investissements, depuis le début des années 2000. Un « accompagnement économique », selon l’État, un « achat des consciences », dénoncent les opposants.

Tout commence avant même l’idée de construire un laboratoire devant tester les conditions géologiques de stockage. Dès 1995, de l’argent public est déversé dans les cantons de la Meuse qui se sont portés candidats à l’accueil du centre d’essai géotechnique : 5 millions de francs par an, pendant cinq ans (1995-1999), soit l’équivalent de 3,8 millions d’euros.

Une manne de 60 millions d’euros par an pour la Meuse et la Haute-Marne

Le 30 juin 2000, changement de braquet. L’État décide de créer un groupement d’intérêt public (GIP) dans chacun des deux départements (Gip Objectif Meuse et Gip Haute-Marne), chargés de « l’accompagnement économique », même si le projet d’enfouissement n’existe pas encore. Les fonds sont abondés par les acteurs de la filière nucléaire, EDF (78 %), le Commissariat à l’énergie atomique (CEA, 17%) et Areva (5 %). Sur les trois premières années cumulées, de juin 2000 à décembre 2002, 30 millions d’euros tombent dans l’escarcelle de chacun des deux groupements d’intérêt public. Les données concernant la période qui suit sont moins évidentes, en l’absence de chiffres consolidés. Selon d’anciens élus locaux, la « rente » est d’au moins 10 millions par an et par département jusqu’à l’exercice 2005. Soit 60 nouveaux millions.

Les règles changent en juin 2006, suite à la seconde loi sur les déchets nucléaires qui signe l’acte de baptême de Cigéo. Le parrain est généreux et les dragées en or massif : le montant double, avec 20 millions par an et par département jusqu’en 2009. Sous-total en comptant les sommes précédentes : 280 millions. A partir de 2010, malgré l’austérité qui se profile, le montant passe à 30 millions par an et par département, cela jusqu’en 2017. Au total depuis 1995, voilà la cagnotte Cigéo atteint 764 millions d’euros.

Des projets urbanistiques farfelus

Dans ces deux départements à faible démographie – six habitants au km² – et au tissu économique ravagé par des décennies de restructurations industrielles, la grande tombola de l’« État nucléaire » fait figure de jackpot. Une petite partie de ces fonds sont versés en « dotations directes » à quinze communes situées dans un rayon de 10 km autour du site de l’Andra, à Bure. Évaluée à environ 500 euros par habitant et par an, cette aide directe représente, pour chaque GIP, environ 1,8 millions d’euros par an. Le reste est versé selon sept « axes de développement », de l’industrie au « développement durable », en passant par le tourisme [1]. Les fonds sont alloués à des entreprises privées de toutes sortes – de la mécanique de précision aux fromageries –, à des offices HLM, des maisons de retraites, des établissements de santé.

Les conseils départementaux, les communes ou communautés de communes arrivent à faire financer des projets plus ou moins utiles, voire farfelus : travaux de voiries incessants, assainissement, chauffage collectif, constructions de terrains de sport ou de salles des fêtes flambants neuves, rénovation d’églises, aménagement de trottoirs en granit ou érection de lampadaires à diodes électroluminescentes, dont la qualité esthétique est à géométrie variable… Le village de Bure installe un nouvel éclairage public : de longs pilonnes gris au design moderne et épuré, ornés d’une tige diffusant une lumière feutrée, parfois bleue, parfois verte. Heureux hasard : bleu et vert, les couleurs du logo de l’Andra. Merci Cigéo.

Manque de transparence

« Le pire, c’est qu’il est impossible d’échapper à cet argent sale, grince Claude Kaizer, ancien élu local de Meuse et farouche opposant historique aux desseins de l’Andra dans sa région. J’ai réalisé des travaux dans ma maison et j’ai vu qu’il y avait une partie financée par le GIP. Symboliquement, je leur ai adressé un chèque du même montant en retour. Il n’a jamais été encaissé. » Autre curiosité : les fonds sont débloqués « sur dossier », comme pour toute subvention publique. A la différence que la « gouvernance » des deux GIP est à transparence limitée. Les sommes, au centime d’euro près, sont bien comptabilisées tous les ans et publiées dans les rapports annuels, mais les réunions où se décident le déblocage des fonds (comités exécutifs, conseils d’administration, assemblées générales) sont peu ouvertes à la vérification publique : aucun verbatim des interventions, peu de compte-rendus détaillés des arbitrages [2]. Seules les décisions prises sont notifiées, souvent sans commentaires et sans motifs. Ces pratiques n’ont fait l’objet que de légères remarques de la part de la Cour des comptes comme des Chambres régionale des comptes [3].


- Détails des fonds cumulés pour la Meuse et la Haute-Marne

Périodes  Montants par département Total
 2000-2005 10 ME/an  120 ME
2006-2009 20 ME/an 160 ME
2010-2017 30 ME/an 480 ME
Total GIP 760 ME
Aides d’EDF
2008-2017 Achats PME locales 220 ME
2006-2013 Investissements directs 120 ME
Total EDF 340 ME
Total 1100 ME

Cette pluie de subventions publiques ne sont pas les seuls fonds qui arrosent le territoire. L’électricien EDF investit aussi massivement en Meuse et en Haute-Marne depuis 2006. Et cela indépendamment des dotations qu’elle fournit aux GIP. Symbole de son implantation au cœur de ce coin de Lorraine, qui trône pile en face du laboratoire de l’Andra à Bure : un cube en béton à l’architecture épurée abritant 70 km de rayonnages, destinés à accueillir toutes les archives industrielles du groupe. Un bijou qui a coûté 10,7 millions d’euros. Tant mieux pour l’emploi local, tant pis pour l’accessibilité, les archives de l’électricien public se situant à 70 km de la gare Meuse TGV.

Comment « nucléariser » un territoire

EDF participe également à une lente mais solide « nucléarisation » du territoire. En 2014, lors du salon international de l’énergie nucléaire, l’Andra et les deux conseils généraux de Meuse et Haute-Marne font stand commun. Sur une carte en couleurs, on peut voir une cible rouge, dont le centre est Bure. Autour, une myriade de projets liés au nucléaire, où des PME spécialisées côtoient des implantations d’EDF, du Commissariat à l’énergie atomique et d’Areva. Le document est titré « S’implanter sur le Pôle territorial de compétence nucléaire » (cliquer sur le document ci-dessous pour l’agrandir).

EDF a investi 56 millions dans une base de logistique de pièces de rechange pour centrales nucléaires à Velaines, près de Bar-le-Duc (Meuse). Sa filiale Socodei exploite aussi un site de maintenance du parc nucléaire à Saint-Dizier (Haute-Marne), pour 42 millions d’investissement. L’entreprise a ouvert un centre de formation à Saint-Dizier et participe, avec Areva, à la création de formations, comme le BTS Environnement nucléaire d’un lycée de Saint Dizier, ou le Bac pro Maintenance industrielle et nucléaire à Bar-le-Duc. Areva a également installé son centre d’archives en Meuse (à Houdelaincourt). Une de ses filiales, LMC, y exploite une plateforme logistique de transit de matières radioactives à Void-Vacon. Le CEA n’est pas en reste : il y gère un centre de recherche à Saudron, à 2 km du labo de l’Andra. L’un des collectifs d’opposition à Cigéo, Burestop, a publié une carte et un récapitulatif de ces installations.

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Plusieurs dizaines de millions d’investissement

Combien représentent au total les investissements d’EDF ? Les réponses à nos demandes, incluant plusieurs relances, auprès du service communication d’EDF sont restées évasives sur les chiffres mais limpides sur les intentions : « EDF s’implique avec les acteurs locaux (…) pour que le territoire accueille dans les meilleures conditions le centre industriel de stockage géologique des déchets radioactifs (Cigéo), et bénéficie du surcroît d’activités économiques qui en résultera », indique le service de presse. « Ces actions s’ajoutent aux initiatives de développement économique des GIP de Meuse et de Haute-Marne » – en sachant qu’EDF leur fournit déjà les trois quart de leurs budgets.

Pour les chiffres, une brochure récente intitulée « Success stories », que Basta ! a consultée, présente le « programme EDF d’accompagnement économique en Meuse et Haute-Marne afin de préparer le territoire et ses entreprises au projet Cigéo ». Au verso, deux chiffres intéressants sont avancés : « Depuis 2006, le groupe EDF a contribué à la création ou au maintien de 1100 emplois » dans la région sous forme d’investissements directs dans ses filiales, des PME, ou via des « prêts participatifs ou bonifiés ».

Le document ajoute : « Entre 2008 et 2017, le montant total des achats effectués dans la Meuse et la Haute-Marne, par EDF et ses principaux fournisseurs, dépasse les 220 millions d’euros ». Dans un autre document public, l’électricien fait le bilan de ses interventions entre 2006 et décembre 2013. Il est question cette fois de « 1470 emplois soutenus ou créées », de « 124 millions d’euros de commandes aux entreprises locales » (chiffre déjà pris en compte dans notre calcul) et enfin, élément nouveau, de « 120 millions d’euros d’investissements directs ». Ce dernier chiffre permet d’estimer à 1,1 milliard d’euros l’ensemble de la manne dont ont pu bénéficier les deux départements grâce au projet Cigéoqui a ce jour n’a obtenu ni déclaration d’utilité publique, ni décret d’autorisation de création. A ce chiffre pourraient encore être ajoutés les investissements directs d’Areva.

Un nouveau « contrat de territoire » évalué à 500 millions d’euros

En plus de ces sommes déjà engagées, un nouveau programme d’investissements publics a été dévoilé le 7 mars par le secrétaire d’État auprès du ministre de la Transition écologique et solidaire, Sébastien Lecornu. Si aucune somme n’a été avancée, un article de l’Est Républicain du 24 novembre avance le chiffre de 500 millions d’euros. Ce nouveau « Contrat de développement territorial » (CDT) se déclinerait en « 82 actions identifiées dans le ferroviaire, les réseaux routiers, les services à la population, le numérique, l’habitat, l’alimentation en eau… ».

Ce « contrat de développement territorial » sera placé sous les auspices des deux préfectures de Meuse et de Haute-Marne. Interrogée par Bastamag, la préfecture de la Meuse a confirmé que ces fonds sont destinés à être déployés via les deux GIP, sans détailler sur quelle période ils seront affectés. Quant à la somme exacte, silence radio. Nos demandes de précisions au secrétariat d’État sont également restées sans réponse.

Selon nos sources, les sommes prévues seraient considérables. Uniquement pour les « infrastructures routières », un montant de 389 millions d’euros est évoqué, essentiellement pour rénover deux routes nationales dans le nord de la Meuse. Mais 22 millions seront affectés aux routes départementales, dont 6 millions pour la seule D960, qui traverse le sud de la Meuse d’Ouest en Est, et qui passe… devant le laboratoire de l’Andra. Fort de la volonté de « transparence » claironnée devant la presse par Sébastien Lecornu, Bastamag a demandé confirmation de ces montants. Les services du ministre ne nous ont pas répondu. Au final, « l’acceptabilité sociale » de l’enfouissement des déchets nucléaires aura nécessité au moins 1,6 milliards d’euros.

BURE : LES OPPOSANTS AU PROJET D’ENFOUISSEMENT DE DÉCHETS NUCLÉAIRES ÉVACUÉS

RFI – le 22-02-2018 :

Ils s’opposaient au projet de centre d’enfouissement des déchets nucléaires de Bure, à 250 km à l’est de Paris, dans la Meuse. Ce jeudi 22 février à l’aube, tous les opposants ont été évacués du bois Lejuc, la forêt dans laquelle doit se construire le site, a indiqué la préfecture.

L’évacuation, qui s’est terminée en fin d’après-midi, s’est faite dans le calme, selon le ministère de l’Intérieur ; sept personnes sont en garde à vue.

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Le gouvernement ne veut pas d’une nouvelle zone à défendre (ZAD) comme celle de Notre-Dame-des-Landes. C’est certainement la raison pour laquelle il a choisi de déloger les opposants alors qu’ils ne sont encore que quelques dizaines.

Le gouvernement précise mettre en exécution une décision du Tribunal de grande instance qui avait rendu en avril dernier une décision d’expulsion. Dès 6h15 ce matin, 5 escadrons de gendarmerie ont pénétré dans le bois Lejuc.

Près de 500 membres des forces de l’ordre au total étaient mobilisés, avec plusieurs pelleteuses et des camions-bennes. Objectif : évacuer les 50 opposants qui vivent sur le site et détruire leurs cabanes et autres lieux de vie, parfois perchés à 25 mètres de hauteur dans les arbres.

Les gendarmes ont d’abord encerclé la forêt vaste comme 300 terrains de football, puis se sont rapprochés de plus en plus du centre où les occupants illégaux avaient élu domicile depuis plusieurs mois. La préfecture a annoncé en fin d’après-midi qu’« il n’y a plus d’occupant » dans le bois Lejuc.

Zone d’insoumission à la radioactivité

Ils avaient d’ailleurs appelé ce camp la ZIRA pour Zone d’insoumission à la radioactivité. Un clin d’oeil à la fameuse ZAD de Notre-Dame-des-Landes. Et à Bure, un site d’enfouissement capable de recueillir

485 000 mètres carrés de déchets radioactifs

doit ouvrir en 2021.

Feu vert de l’ASN

Le Bois-Lejuc a été acquis par l’Andra, Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs), pour y installer les puits de descente du personnel et du matériel destinés au futur centre de stockage Cigéo (Centre industriel de stockage géologique) situé à Bure. Un laboratoire souterrain y teste actuellement les capacités de confinement des couches argileuses situées à 500 mètres de profondeur.

Le Cigéo devra y stocker pour une durée illimitée les déchets nucléaires à la durée de vie la plus longue. La loi prévoit toutefois une réversibilité du stockage durant les cent premières années au cas où une autre option apparaîtrait in fine préférable.

Dans un avis rendu en janvier, l’Autorité de sûreté nucléaire a validé les études techniques de l’Andra pour la réalisation du centre de stockage tout en lui demandant de revoir sa copie pour certains déchets inflammables. La mise en service du Cigéo est prévue en 2027 pour une phase pilote et cinq ans plus tard pour le début de la phase industrielle.


Nicolas Hulot se passerait bien de cette archive photo :

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LE SITE DE BURE à NOUVEAU ENDEUILLÉ

L’Humanité – le 27 Janvier, 2016 :

Bure (Meuse). l’accident a eu lieu dans une galerie de forage à 500 mètres de profondeur. Un éboulement a tué un technicien, hier, sur le site du laboratoire de recherche de Bure, dont la mission consiste à étudier la faisabilité du projet ultra-contesté d’enfouissement de déchets radioactifs.

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Photo : Jean-Christophe Verhaegen/AFP

L’éboulement mortel s’est produit hier, en fin de matinée, sur le site controversé de Bure, aux confins de la Meuse et de la Haute-Marne, qui devrait accueillir une installation inédite en France d’enfouissement de déchets hautement radioactifs. C’est dans l’une des galeries d’expérimentation du laboratoire souterrain de recherche – chargé d’évaluer la faisabilité du projet – qu’un éboulement a tué un technicien de la société Eiffage (prestataire de services) et « blessé légèrement un de ses collègues », a précisé la préfecture.

« Une gigantesque poubelle atomique »

Baptisé Cigéo, le projet d’enfouissement supervisé par l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra) a pour but d’accueillir, à compter de 2025, les éléments les plus radioactifs du parc nucléaire français, soit 3 % des déchets produits, et ce à 500 mètres sous terre et pour plusieurs centaines d’années. « Une gigantesque poubelle atomique de 300 hectares en surface et 15 km2 de galeries souterraines », dénoncent les militants antinucléaires, qui exigent « l’abandon du projet » et n’ont pas hésité à faire de l’accident mortel d’hier un argument supplémentaire contre une installation qu’ils jugent « scandaleuse ».

Mais pour Roberto Miguez, secrétaire général de la CGT à l’Andra, l’amalgame n’a pas lieu d’être car « l’accident n’a pas eu lieu sur le site d’enfouissement », insiste le syndicaliste avant de détailler : « Actuellement, aucun déchet n’est stocké dans les galeries souterraines où s’est produit l’éboulement. Il s’agit d’un laboratoire de recherche, installé là en 1998 avec pour objectif de mener à bien différentes expériences pour estimer, entre autres, la sûreté du site et la réaction du milieu en cas d’enfouissement de déchets nucléaires sur une très longue période. » Études de température, d’hydrométrie, expériences de migrations de la radioactivité, étude des réactions d’un milieu argileux et projections sur des milliers d’années…

Des accidents du travail gravissimes et répétés

La mission des quelque 150 ingénieurs, techniciens et ouvriers qui travaillent sur le site est une mission de « recherche scientifique », précise Roberto Miguez. D’après le syndicaliste, qui indique ne pas avoir eu accès à des informations précises de la part de la direction de l’Andra, « des expériences de techniques de creusement sont en cours sur le site et c’est lors de l’un de ces creusements que l’accident se serait produit ». Un drame qui n’est malheureusement pas un cas isolé à Bure.

Déjà, en 2001, un salarié avait chuté d’une plate-forme lors du percement du puits d’accès principal au laboratoire de recherche, se blessant grièvement. L’année suivante, un ouvrier avait quant à lui trouvé la mort, écrasé par un tube d’aération dans le même puits principal, à plus de 200 mètres de profondeur. S’était ensuivi un arrêt du chantier pour cinq ans.

Des accidents du travail gravissimes et répétés qui, en dehors des débats de fond concernant l’enfouissement de déchets radioactifs, posent sérieusement la question de la sécurité du site et de ses salariés. Hier, une enquête de gendarmerie a été ouverte sous la direction du parquet de Bar-le-Duc, qui devra déterminer les circonstances exactes de ce nouvel accident.

DES EXPERTS RÉVÈLENT DES LACUNES DANS LA SÛRETÉ DU STOCKAGE RADIOACTIF DE BURE

Galerie souterraine dans le centre d’enfouissement de déchets de Bure, dans la Meuse, en février 2013.

L’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire souligne dans un rapport un problème de maîtrise du risque d’incendie dans les galeries souterraines.

La fiabilité du futur site d’enfouissement des déchets les plus radioactifs à Bure, dans la Meuse, n’est à ce stade pas complètement garantie. C’est l’inquiétante conclusion d’un rapport de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), l’établissement public chargé de la recherche et de l’expertise sur les risques nucléaires et radiologiques, sur lequel l’Autorité de sûreté nucléaire s’appuie pour prendre ses décisions. La révélation de ces lacunes ne va faire que conforter l’opposition grandissante à cette installation, qualifiée à l’avance par ses détracteurs de « poubelle nucléaire ».

Porté par l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra), le projet de Centre industriel de stockage géologique (Cigéo) vise à enterrer dans une couche d’argile profonde de 500 mètres, à la limite de la Meuse et de la Haute-Marne, 85 000 m3 de déchets à haute activité et à vie longue, dont la dangerosité perdurera, pour certains d’entre eux, des centaines de milliers d’années.

Ces résidus proviennent principalement de l’exploitation du parc atomique hexagonal, mais aussi des laboratoires de recherche nucléaire et d’activités liées à la défense nationale. Ils sont pour l’instant entreposés à la Hague (Manche), Marcoule (Gard) et Cadarache (Bouches-du-Rhône).

A Bure, ce sont 240 000 « colis » – des fûts radioactifs – qui seront logés dans des alvéoles, au sein d’un réseau de 300 kilomètres de galeries souterraines couvant une surface de 15 km2. La demande d’autorisation de création du site doit être déposée dans le deuxième semestre de 2018, pour une mise en service en 2025, avec une phase pilote de cinq à dix ans. Le cimetière nucléaire sera ensuite progressivement rempli, sur une durée d’un siècle, avant d’être définitivement scellé. Le coût total est aujourd’hui chiffré à 25 milliards d’euros.

M. HULOT, PROTÉGEZ LES HIBOUX DE BURE !

Reporterre – le 5 juin 2017 :

arton12388-fbbc0À cheval sur la Meuse et la Haute-Marne se prépare l’installation d’un centre d’enfouissement de déchets nucléaires, dit Cigéo. Un collectif d’opposants — syndicats de paysans, de travailleurs, associations environnementales, collectifs d’habitants — demande au ministre Nicolas Hulot de prendre position contre cette « poubelle atomique ».

Les auteurs de la lettre sont : les opposant-es d’ici et d’ailleurs, des habitant-es de Mandres-en-Barrois, les associations Burestop 55, Bure zone libre, Asodedra, Cedra 52, Eodra, les habitants Vigilants de Gondrecourt le Château, les habitants Vigilants de Void-Vacon, Meuse nature environnement, Mirabel Lorraine environnement. …


Monsieur le ministre, vous avez déclaré le 12 novembre 2011, à la suite de la catastrophe de Fukushima, que « le propre d’un accident nucléaire, c’est d’être inestimable dans le temps et dans l’espace. Et là s’arrête le risque acceptable dès lors que l’on ne maîtrise ni ne mesure plus ses conséquences ». Nous partageons totalement votre constat.

Vous êtes ministre à présent. Des spécialistes vous assureront que les déchets [1] produits par l’industrie nucléaire seront bien gérés. Si, comme vos prédécesseurs, vous n’écoutez qu’une seule voix, celle des acteurs du nucléaire, la seule ayant accès à votre cabinet, qui affirme que le stockage nucléaire en grande profondeur est une solution, alors vous vous tromperez gravement. Vous pourriez apposer un blanc-seing sur un projet comportant lui aussi, comme l’accident nucléaire de Fukushima, des « risques non acceptables, parce que personne ne maîtrise ni ne mesure les conséquences » de l’énorme complexe Cigéo, projet d’enfouissement des déchets nucléaires, qui sacrifie non seulement un territoire, mais menace durablement le pays tout entier et les centaines de générations à venir.

Contrairement à ce que vous affirmera l’Andra (Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs), elle ne sera jamais prête, bien qu’affichant des certitudes de façade. Donner prochainement le feu vert à Cigéo, c’est engager le pays de façon irréversible dans un chantier titanesque dont nul ne pourra prétendre maîtriser les risques. Des experts indépendants l’ont prouvé de manière irréfutable. Confiner une telle masse de déchets radioactifs à moins 500 mètres sous terre peut mener à des explosions souterraines liées à la nature de certains déchets. Un incendie en grande profondeur serait ingérable. La contamination de nappes phréatiques serait inévitable, car la radioactivité s’échappera un jour des colis de confinement. Dans tous les cas, des rejets aériens massifs de gaz radioactifs sont assurés, sans parler de la multiplication de transports nucléaires à haut risque pendant plus d’un siècle.

La pièce maîtresse d’un énorme mensonge

Contrairement à ce que vous affirmeront certains parlementaires, l’opinion publique n’accepte pas Cigéo, malgré les mesures déployées : efforts financiers considérables, promesses de développement local, impasse systématique sur les dangers réels ou encore processus de concertation truqué. Tout est plaqué, brutalement, sans aucun choix possible. Depuis 30 ans, sur plus de 25 sites explorés en France, des milliers de gens ont refusé de servir de caution, de cobayes ou de fusibles. Presque partout, ils ont mené à l’échec toutes les tentatives d’implantation. L’ampleur inédite de cette opposition doit peser dans la balance des décisions. N’avez-vous pas déclaré aussi, sur i-Télé, en 2016 : « Ces déchets, il faut bien en faire quelque chose, mais, en tout cas, on ne peut pas imposer comme ça [ce projet] à des populations locales, sous prétexte qu’[elles] sont dans des endroits un peu éloignés (…), sans concertation, sans transparence. »

Une des « vigies » du bois Lejuc.

Le seul « laboratoire de recherche géologique » finalement installé à Bure est la pièce maîtresse d’un énorme mensonge : la filière électronucléaire serait propre, gérable et peu coûteuse, alors qu’elle est au bord du gouffre. Les pouvoirs publics savent que le stockage géologique est un mythe dangereux qui ne résout rien. Argument de vente pour de nouveaux réacteurs nucléaires, il tente de masquer une impasse phénoménale.

En 2018, le gouvernement pourrait être amené à signer une « phase industrielle pilote » : cette fausse phase de « test grandeur nature » masque un feu vert irréversible au chantier qui engloutirait les 5 milliards d’euros provisionnés à ce jour. Trouver les 30 à 40 milliards suivants, nécessaires au fonctionnement du stockage, resterait à la charge de nos enfants et arrière-petits-enfants. N’avez-vous pas dit ce 12 novembre 2011 : « Dans la même veine, ignorer la durée de vie et la dangerosité à très long terme des déchets est incompatible avec la notion première du développement durable, puisque c’est une délégation de risque aux générations futures. »

Votre conscience d’homme public soucieux de la préservation de la planète vous engage à agir : il faut mettre fin à cette politique énergétique irresponsable, mettre au centre de la table les erreurs passées, assumer ce passif et ne pas alourdir la dette.

Une situation conflictuelle alarmante

Des centaines d’habitant.e.s refusent d’être condamnés à vivre, à respirer et à survivre sur la plus grande « poubelle atomique » d’Europe. Ne soyez pas sourd comme tant d’autres à la multitude de signaux d’alerte obstinément envoyés aux décideurs — dont vous faites à présent partie — par des personnes de tous âges, en lutte pied à pied dans le bois Lejuc depuis juin 2016, où l’Andra a tenté de commencer les travaux préparatoires de Cigéo en toute illégalité. Ces militants, qu’on appelle « les hiboux de Bure », ont choisi d’y résider, parfois dans les arbres pour mieux les protéger, faisant preuve d’un incroyable courage qui en dit long sur leur détermination. L’opposition ne cesse de s’amplifier localement et nationalement. Des pays voisins s’inquiètent. En Meuse et en Haute-Marne, le climat de répression s’intensifie, cherchant à détruire toute cohésion sociale. Cautionnerez-vous une situation conflictuelle alarmante en prenant le risque de la voir s’aggraver ?

La cession du bois Lejuc à l’Andra est au centre d’une controverse largement médiatisée depuis un an. Est-il moralement acceptable de faire porter un tel fardeau aux onze conseillers municipaux de Mandres-en-Barrois, sommés d’abandonner leur forêt communale ? Savent-ils qu’ils engagent la destruction inévitable de tout un territoire de vie en ouvrant la porte à un inconnu menaçant l’humanité ? Et que penser des soupçons de conflits d’intérêts affectant un certain nombre de conseillers municipaux du fait de leurs liens avec l’Andra, comme le met en exergue un nouveau recours juridique déposé le 22 mai 2017 par pas moins de 35 habitant-es ?

Face à cette situation d’urgence et réaffirmant une opposition totale au principe de l’enfouissement des déchets nucléaires, nous demandons instamment :

  • que le gouvernement ne tente aucune évacuation du bois Lejuc à Mandres-en-Barrois, occupé par les opposants depuis presque un an, sous peine de voir la situation de tension actuelle s’aggraver ;
  • que le gouvernement reçoive les scientifiques et associations qui depuis plus 20 ans ont recueilli les éléments d’approfondissement du dossier Cigéo révélant les risques et qui veulent, au nom de l’intérêt général, apporter leur éclairage (vous avez déclaré récemment, au JDD : « Je connais ce dossier, mais je veux l’étudier davantage. ») ;
  • que le gouvernement stoppe tout projet d’enfouissement profond des déchets radioactifs ;
  • que le gouvernement engage en urgence la remise à plat de l’ensemble de la politique énergétique du pays. La sortie du nucléaire est impérative et ne doit pas être repoussée aux décennies à venir, il en va de la survie de l’humanité. Le passage aux énergies renouvelables et économies d’énergie, à des techniques créatrices d’emploi et autrement plus soutenables et novatrices, fait partie des demandes qui doivent aboutir au plus vite.

DÉCHETS NUCLÉAIRES à BURE : LA JUSTICE CONFIRME L’ILLÉGALITÉ DES TRAVAUX DANS LE BOIS LEJUC

Le Monde.fr avec AFP | 22.05.2017 :

carte_france_dn3-2.pngLa cour d’appel de Nancy a confirmé que l’Andra n’avait pas le droit de mener des travaux de défrichement dans le bois Lejuc, épicentre de leur lutte.

Nouveau point marqué par les opposants au projet de stockage souterrain de déchets nucléaires à Bure (Meuse) dans leur guérilla juridique. La cour d’appel de Nancy a confirmé, lundi 22 mai, que l’Agence nationale de gestion des déchets radioactifs (Andra) n’avait pas le droit de mener des travaux de défrichement dans le bois Lejuc, épicentre de leur lutte.

Cette décision est conforme à celle rendue en première instance, en août, par le tribunal de grande instance de Bar-le-Duc, a expliqué à l’Agence France-Presse (AFP) l’avocat des requérants, Me Antoine Ambroselli.

L’Andra « n’a donc toujours aucune autorisation légale ni légitimité pour reprendre ses travaux » sur le terrain boisé où elle espère installer les puits d’accès à son centre de stockage souterrain, s’est félicité dans un communiqué le Réseau Sortir du nucléaire.

« Près de dix mois après le début de ses travaux, l’Andra n’a toujours obtenu aucune autorisation de défrichement » de la part des autorités préfectorales, observent encore les opposants, qui rappellent que l’Andra doit remettre en l’état le bois Lejuc, sous peine de devoir s’acquitter d’une lourde astreinte financière.

Dans une brève réaction adressée à l’AFP, l’Andra a affirmé, de son côté, qu’elle avait « entamé la procédure de régularisation du défrichement », en procédant « à des replantations sur une partie des zones déboisées », et en « sollicitant une autorisation de défrichement a posteriori auprès des services de l’Etat ». « Cette procédure est sur le point d’aboutir, la consultation publique étant terminée », a précisé l’Andra.

Pas de remise en état « digne de ce nom »

Des précisions que contestent les opposants : selon eux, l’agence « n’a effectué aucune remise en état digne de ce nom, se contentant de la plantation de quelques arbustes au nord du bois Lejuc, en novembre 2016, avec des méthodes propres à faire sourire les forestiers ».

Sur un autre front judiciaire, les opposants ont annoncé lundi qu’ils déposaient un nouveau recours devant la justice administrative contre la cession du bois Lejuc à l’Andra par la municipalité de Mandres-en-Barrois, le village voisin de Bure sur lequel le terrain est situé.

En février, les antinucléaires avaient obtenu une première fois que soit invalidée la délibération municipale ayant cédé ce terrain à l’Andra.

Jeudi dernier, le conseil municipal du village de Mandres a adopté une nouvelle délibération allant dans le même sens. C’est cette décision que les opposants vont donc une nouvelle fois contester. Selon eux, « au moins quatre » membres du conseil municipal sont liés à l’Andra, soit directement, soit par le biais de membres de leur famille.

À BURE, L’ANDRA VEUT ÉTOUFFER LA LUTTE PAYSANNE

Reporterre – le 2 mai 2017 : arton12129-f614f.jpg

Pour s’assurer la maîtrise de la zone de la « poubelle nucléaire » de Bure, l’Agence nationale de gestion des déchets radioactifs s’est constitué une immense réserve foncière. Si de nombreux paysans ont cédé aux conditions de l’Agence, ce n’est pas le cas de Jean-Pierre Simon, jugé ce mardi pour « complicité » avec les antinucléaires. La Confédération paysanne le soutient.

- ActualisationMardi 12 septembre 2017 – Ce mardi 12 septembre 2017, le tribunal de Bar-le-Duc a jugé Jean-Pierre Simon, agriculteur à Cirfontaines, pour avoir mis son matériel agricole à disposition des personnes qui, en juin et juillet 2016, ont occupé le Bois Lejuc, près de Bure. L’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra) y avait entrepris des travaux illégaux, préalables à la construction du site d’enfouissement Cigéo. Le délibéré est fixé au 24 octobre 2017.


Mardi 2 mai, à 10h, Jean-Pierre Simon est sorti du tribunal de grande instance de Bar-le-Duc, annonçant le report de son procès au 12 septembre. Ce qui n’empêche pas les mobilisations prévues dans la journée devant le palais de justice.

Jean-Pierre Simon comparaissait devant le tribunal de grande instance de Bar-le-Duc (Meuse), pour « complicité du délit d’installation en réunion sur le terrain d’autrui sans autorisation en vue d’y habiter ». Son crime ? À l’été 2016, ce paysan a mis à disposition des opposants au projet de poubelle nucléaire de Bure son tracteur et sa bétaillère. Pour les gendarmes et pour l’Andra — l’Agence nationale de gestion des déchets radioactifs, partie civile dans le procès —, il aurait ainsi « favorisé l’occupation du bois Lejuc » par les manifestants, et « fait obstacle à une issue du site ».

Joint par Reporterre, Jean-Pierre Simon raconte une version de l’histoire sensiblement différente. Début juin 2016, les opposants ont organisé une manifestation pour protester contre le début des travaux de l’Andra dans le bois Lejuc. « Je suis venu avec mon tracteur pour porter le matériel pour le pique-nique, raconte-t-il. Quand on s’est rendu compte que l’Andra menait là-bas des travaux illégaux, l’occupation a été décidée. Je ne suis pas resté sur place, mais j’ai laissé mon tracteur, pour aider à la logistique : transporter les tentes par exemple. »

Lors de l’expulsion du bois, début juillet, Jean-Pierre s’est précipité pour récupérer son tracteur, mais il était trop tard : l’engin avait été saisi et emporté par les forces de l’ordre à la fourrière. À l’intérieur de la remorque, les enquêteurs trouveront des tentes, des vêtements, des sacs de couchage, quelques téléphones portables. « Je suis allé aux convocations, j’ai répondu aux questions de la gendarmerie, mais ils n’ont pas voulu me rendre mon tracteur, alors que c’est un outil de travail indispensable ! » Il a protesté auprès du procureur, mais ses lettres sont restées sans réponse, jusqu’à ce 3 février, où il a reçu une convocation au tribunal.

« Depuis le départ, l’Andra fait en sorte qu’il n’y ait pas de lutte paysanne à Bure »

Pourquoi lui ? Pourquoi se focaliser sur cet agriculteur qui n’était pas présent lors de l’évacuation du bois, et qui n’a fait que prêter son tracteur aux manifestants ? La plupart des opposants au projet Cigéo agissent de manière collective ou anonyme, de manière à ne pas être identifiés par les forces de l’ordre. Au contraire, Jean-Pierre Simon est installé à Cirfontaines-en-Ornois, à quelques kilomètres de Bure, depuis plusieurs décennies, et il est bien connu dans le coin. « Je suis facilement identifiable, donc facilement attaquable, admet-il. Mais à travers moi, c’est le procès du bois Lejuc que l’Andra veut faire. » Il avance une autre piste de réponse : « Comme je suis à peu près le seul paysan à m’investir dans la lutte, c’est peut-être une manière de mettre la pression et de dire aux autres agriculteurs : ne bougez pas. » Laurent Pinatel, porte-parole de la Confédération paysanne, syndicat qui soutient Jean-Pierre Simon, abonde dans ce sens : « L’Andra a fait de lui un grand criminel, ils ne l’ont pas loupé et ont frappé fort, comme s’ils avaient voulu scinder la lutte et décourager les habitants locaux de s’engager. Depuis le départ, l’Andra fait en sorte qu’il n’y ait pas de lutte paysanne à Bure. »

Jean-Pierre Simon à Notre-Dame-des-Landes, en juillet 2016.

Le témoignage de Jean-Pierre Simon fait écho à une autre histoire : celle de l’appropriation progressive du foncier agricole et forestier par l’Andra, en Meuse et en Haute-Marne, et qui est dénoncée par la Confédération paysanne comme « un accaparement de terres ». Installé depuis 1982 sur l’exploitation familiale, le paysan produit aujourd’hui orge, colza, blé, tournesol. Il décrit une région agricole en difficulté, avec des sols difficiles à travailler.

Pourtant, l’arrivée de l’Andra sur le territoire, dans les années 1990, a donné une nouvelle valeur à ces terres délaissées. « À partir de 2007, ils ont commencé à acheter tout le foncier disponible. Ils se rendaient dans les villages, prospectaient pour savoir si des successions ou des reprises allaient avoir lieu. » Il se rappelle de son voisin, propriétaire de 100 ha, démarché par l’Agence. « Ils lui ont tout acheté, les terres, les bâtiments, le cheptel. » Le prix du foncier a flambé : l’hectare est passé de 2.500 à 5.000 € en quelques années. « L’Andra paye, quel que soit le prix, donc ça en motive plus d’un ! » estime l’agriculteur.

Malgré les propositions alléchantes, il a décidé de garder sa ferme, « pour rester maître de la situation et ne pas casser [son] outil de travail ». Il a cependant dû débourser plusieurs centaines de milliers d’euros afin de racheter la moitié de ces terres qui étaient en location et convoitées par l’Andra. « C’est pour ça que je suis libre de parler, explique-t-il. La plupart des paysans louent une partie de leurs surfaces, ou sont sur des parcelles que l’Andra leur met à disposition via des baux précaires. »

Les terres agricoles du plateau de Bure.

La carotte et le bâton. Pour « calmer le jeu et acheter le silence », comme le dit Jean-Pierre Simon, l’Andra dispose d’un patrimoine foncier important : 3.115 ha, d’après les chiffres fournis fin 2015 par l’Agence (2.270 ha en propriété directe et 845 ha mis en réserve par les Safer), alors que le projet Cigéo ne s’étendra, au maximum, que sur 650 ha. Cette réserve foncière permet à l’Andra de prévoir des compensations environnementales nécessaires lors de la réalisation du projet, mais aussi de « procéder à des échanges de parcelles » avec les agriculteurs. « C’est une sorte de jeu d’échecs qui permet à l’Andra de s’assurer la maîtrise de la zone d’implantation de Cigéo », décrit Jean-Pierre Simon. Cette stratégie, tout à fait légale, mène aussi à des redistributions de terres de la part de l’Andra, via des conventions d’occupation précaire et provisoire (Copp) : « Mais cette redistribution favorise en priorité ceux qui ont des casquettes : élus, syndicalistes, jeunes… tout ça pour tenir la population », note Jean-Pierre Simon.

« Dans ces grands projets comme Cigéo, l’agriculture est toujours considérée comme la variable d’ajustement »

Dans un rapport publié en 2016, le collectif d’opposants Terres de Bure n’hésite pas à parler d’un « harcèlement » : « Les négociations foncières de l’Andra sont menées depuis les dernières années par Emmanuel Hance, “responsable des activités humaines et de la biodiversité”. Les agriculteurs ayant eu affaire à lui préfèrent parler de harcèlement plutôt que de négociation à l’amiable. » Appels téléphoniques répétés et visites incessantes, allusion à la possibilité d’expropriation, démarchage individuel… « Beaucoup d’agriculteurs se retrouvent ainsi dans une position difficile, tiraillés entre l’envie de rester sur leurs terres et de résister à la poubelle, la résignation face à la peur des contrôles et des expropriations, et la recherche de leur intérêt économique individuel », écrivent-ils.

Résultat, la lutte paysanne à Bure est embryonnaire. « Nous avons peu d’adhérents en Meuse et Haute-Marne, ce n’est pas facile de mobiliser là-bas », constate Laurent Pinatel. C’est pourquoi la Confédération paysanne a décidé de mettre le paquet mardi 2 mai à Bar-le-Duc, lors de l’audience de M. Simon. Prises de parole, banquet paysan, rassemblement de soutien relayé au niveau national. « Dans ces grands projets comme Cigéo, l’agriculture est toujours considérée comme la variable d’ajustement, colère Laurent Pinatel. Les terres agricoles ne sont que des réservoirs fonciers, et il y a une négation de notre rôle et de notre activité économique, c’est humiliant. » Pour lui, ce qui se joue à travers l’affaire de M. Simon, c’est un projet de société : « L’agriculture paysanne ne peut s’épanouir dans une société hypernucléarisée, avec un dogme productiviste et techniciste. Le dogme du développement à tout prix touche à ses limites. »

La bétaillère saisie par les gendarmes aux abords du bois Lejuc.

À 57 ans, Jean-Pierre Simon se dit aujourd’hui à la fois « déterminé » à s’opposer et « pessimiste » pour la suite : « Bien sûr que j’assume tout ce que j’ai fait au bois Lejuc, dit-il. Je m’oppose depuis plus de vingt ans au nucléaire, parce que cette technologie opaque n’est pas bonne, mais aussi parce que Cigéo signe l’arrêt de mort de l’agriculture dans la zone. L’Andra est en train de créer un désert rural et agricole, en sacrifiant nos villages et nos terres. »

À BURE, LES ANTINUCLÉAIRES DU BOIS LEJUC SONT EXPLUSABLES DÈS AUJOURD’HUI

Reporterre – le 27 avril 2017

arton12117-dec76Deux mois après l’audience, le tribunal de grande instance de Bar-le-Duc, dans la Meuse, a jugé mercredi 26 avril les antinucléaires du bois Lejuc à nouveau expulsables. Sur place, les opposants au projet d’enfouissement des déchets nucléaires, dit Cigéo, se disent « surpris » mais « sereins » face à une décision ayant un « sens politique ».

 

Mercredi 26 avril, le tribunal de grande instance de Bar-le-Duc (Meuse) a rendu sa décision : le bois Lejuc, occupé depuis huit mois, est à nouveau expulsable sans délai. Située sur la commune meusienne de Mandres-en-Barrois, cette petite forêt occupe un rôle stratégique, car elle doit accueillir dans ses sous-sols argileux les déchets nucléaires du projet Cigéo, porté par l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra). Des opposants à ce projet de « poubelle nucléaire » occupent le bois depuis juillet 2016, construisant barricades et cabanes à plus de 25 m de hauteur… ils pourraient donc se retrouver délogés par les gendarmes dès aujourd’hui.

Lors de l’audience d’examen du litige, le 8 février dernier, l’Andra a en effet demandé l’expulsion de M. Sven Lindström, seul occupant identifié de la forêt lorraine (les occupants anonymes sont plusieurs dizaines), au nom d’« une atteinte manifeste au droit de propriété », selon les dires de Me Bourel, avocat de l’Agence. Or, cette propriété est remise en cause depuis que le tribunal administratif de Nancy a invalidé la cession du bois à l’Andra, fin février. « L’expulsion est contestable et l’Agence n’a rien à faire dans ce bois, puisqu’elle n’en est plus vraiment propriétaire », résume Me Ambroselli, qui défend les occupants. À la suite de la décision du tribunal, ni Me Bourel ni l’Andra n’ont souhaité pour le moment s’exprimer.

Une cabane du bois Lejuc.

À la Maison des résistances de Bure, les opposants se disent « surpris » par cette décision, mais « sereins » : « On ne s’attendait pas à ce que ça tombe maintenant, alors que la propriété du bois est contestée, et en pleine élection présidentielle, note Sylvestre (pseudonyme), qui vit entre la Maison et le bois. Mais, en même temps, on a déjà vécu une expulsion en juillet 2016, on est bien préparé et déterminé à défendre cette forêt coûte que coûte. » Des ateliers de formation pour se préparer à l’intervention des gendarmes, ainsi que la construction et le renforcement des cabanes, seront ainsi organisés dans les prochains jours.

Le prochain président pourrait ouvrir son mandat par un conflit avec les écologistes 

Les opposants — qui seraient une cinquantaine en ce moment — ont reçu le soutien de la Zad de Notre-Dame-des-Landes, et attendent l’arrivée de militants amis. Un appel à des actions décentralisées a également été lancé, et une manifestation de réoccupation est d’ores et déjà prévue dans les quinze jours qui suivront l’expulsion. « Cela pourrait raviver la lutte, relancer le mouvement », observe Étienne Ambroselli. « Ce n’est ni une défaite ni une fin, nous disent les occupants du bois. Il s’agit simplement d’une nouvelle étape dans la lutte qui s’enracine par ailleurs : il y a les occupations légales, à travers des achats de maison et des remises en cultures de champs. »

« Il y a un sens politique à cette expulsion, estime pour sa part Sylvestre. Si elle intervient d’ici début mai, elle va laisser une trace indélébile sur la fin de la mandature anti-écolo de Hollande. Sinon, le prochain président va commencer son mandat avec un conflit larvé contre les écologistes, et une lutte potentiellement violente. » Et Me Ambroselli de rappeler que Benoît Hamon — et donc le Parti socialiste — s’est prononcé contre le projet de Bure pendant la campagne électorale. En avril 2015, Emmanuel Macron, alors ministre de l’Économie, avait quant à lui soutenu un amendement favorisant l’ouverture du projet Cigéo.

« Le bois Lejuc est le symbole d’un choix de société, insiste Sylvestre. Le tout nucléaire contre la défense des biens communs que sont la forêt, les terres agricoles. » Dans ce contexte, la mobilisation prévue le mardi 2 mai à Bar-le-Duc en soutien au paysan Jean-Pierre Simon, jugé pour avoir soutenu l’occupation du Bois Lejuc en mettant à disposition des occupants son tracteur et sa bétaillère, prendra certainement un nouveau sens.

À BURE, UN TOMBEAU NUCLÉAIRE POUR L’ÉTERNITÉ

Le Figaro – le 24/03/2017 : 

XVM4a52048e-f8c7-11e6-9665-bb8b25e8c5d5Le village de Bure, dans la Meuse, est au cœur de l’un des projets nucléaires les plus ambitieux – et controversés – d’Europe: enfouir à 500 mètres de profondeur les déchets les plus radioactifs de France.

On aurait pu ne jamais parler de Bure, ce village d’à peine 90 âmes niché aux confins de la Meuse. On aurait pu, si la commune n’était au centre de l’un des projets nucléaires les plus ambitieux – et les plus controversés – d’Europe: enfouir à 500 mètres sous terre les déchets les plus radioactifs de France, et ceux qui le seront des centaines de milliers, voire des millions d’années… avant de sceller le site pour toujours. Ce projet, baptisé Cigéo, est piloté par l’Andra (l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs). Aujourd’hui, il est à un tournant: la demande d’autorisation de création du site doit être déposée l’an prochain. “Seul projet durable pour gérer les déchets les plus radioactifs” pour les uns, “Tchernobyl souterrain” pour les autres… Depuis des décennies, Cigéo cristallise les tensions entre ses défenseurs et ses opposants.

LE PROJET DE « POUBELLE NUCLÉAIRE » DE BURE PROVISOIREMENT GELÉ PAR LA JUSTICE

BASTA MAG – le 1er mars 2017 : 

Manifestation contre le projet CigeoC’est une victoire pour les opposants au centre d’enfouissement de déchets radioactifs (Cigéo), situé à Bure dans la Meuse. Le 28 février, le tribunal administratif de Nancy a annulé la délibération de la commune de Mandres-en-Barrois, qui a permis à l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra) de devenir propriétaire d’une forêt de 220 hectares, le bois Lejuc, sous lequel doit être construit le centre d’enfouissement.

L’affaire remonte au 2 juillet 2015. Ce jour-là, le conseil municipal vote à bulletin secrets une délibération autorisant le maire à conclure avec l’Andra une convention relative à l’échange d’un bois communal contre une forêt située sur le territoire de la commune de Bonnet. Quatre habitants portent alors plainte, dans un contexte où une majorité d’habitants (50 voix sur 86) s’étaient prononcés, lors d’une consultation locale, contre cet échange de parcelles forestières. Le tribunal relève notamment que « si l’article L. 2121-21 du code général des collectivités territoriales autorise le vote à bulletin secret, c’est à la condition que le tiers au moins des conseillers présents le demandent ». Or, poursuivent les juges, la commune n’a pas apporté la preuve que cette demande avait été faite. En donnant raison aux plaignants, la justice gèle donc pour le moment le projet d’enfouissements de déchets nucléaires [1].

Le tribunal administratif précise que « le vice de procédure qu’il censure est régularisable ». La commune de Mandres-en-Barrois dispose désormais de quatre mois pour adopter une nouvelle délibération approuvant l’échange de forêts. Faute de quoi il faudrait « résilier la convention conclue avec l’Andra ». Cette dernière a réagi en déclarant que cette annulation portait « uniquement sur une question de forme » et que « cela ne signifie pas pour autant le blocage du projet, et encore moins son arrêt » [2]. Le réseau Sortir du nucléaire estime au contraire que « l’Agence n’a plus aucune légitimité pour en expulser les militants et y reprendre des travaux ». Il n’est pas non plus certain que le maire de Mandres-en-Barrois obtienne de nouveau une majorité sur le projet. « Les opinions changent. Si le village au début n’était pas opposé à l’enfouissement, certains habitants reviennent sur leur position », assurent des antinucléaires [3].

Le dossier est revenu ces derniers jours dans le débat politique. Le projet de plate-forme présidentielle négocié entre Benoît Hamon (PS) et Yannick Jadot (Europe Ecologie-Les Verts) prévoit « la fin du projet d’enfouissement profond de Bure ». L’accord ajoute que « en l’état, le stockage restera en sub-surface et des études seront menées pour travailler sur d’autres options ». Philippe Poutou (NPA) et Jean-Luc Mélenchon (La France insoumise) sont également opposés au projet d’enfouissement des déchets à Bure.

DÉCHETS NUCLÉAIRES à BURE: NOUVELLE VICTOIRE POUR LES OPPOSANTS

Le Figaro – le 28/02/2017

XVMcbc1736c-fdca-11e6-baf1-85bd02acada9Le tribunal administratif de Nancy a annulé, ce mardi, la délibération du conseil municipal de Mandres-en-Barrois qui avait permis à l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs d’acquérir le bois Lejuc où seront enterrés les déchets toxiques.

Les antinucléaires savourent leur nouvelle victoire, sans doute la plus importante depuis qu‘ils s’opposent au pharaonique projet d’enfouissement national de déchets nucléaires dans la Meuse près de Bure. Le tribunal administratif de Nancy a annulé, ce mardi (lien PDF), la délibération du conseil municipal de Mandres-en-Barrois qui avait, en juillet 2015, permis à l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra) d’acquérir le bois Lejuc où seront justement enterrés les rebuts toxiques.

Les juges qui ont relevé l’existence d’un vice de procédure dans les conditions de ce vote réalisé à bulletin secret donnent quatre mois à la commune pour régulariser la situation. À défaut et passé ce délai, l’Andra ne sera plus propriétaire du bois comme l’espèrent les opposants à ce projet qui jouant la montre multiplient les recours pour empêcher ce stockage sous terre.

«Pas de blocage» ou paralysie du projet?

D’ailleurs pour ces derniers, rien ne dit que le maire de Mandres-en-Barrois qui avait eu la majorité pour céder le bois Lejuc l’obtiendra de nouveau. «Les opinions changent. Si le village au début n’était pas opposé à l’enfouissement, certains habitants reviennent sur leur position», assure-t-on parmi les antinucléaires.

Du côté de l’Andra on prend note de cette décision. «En tout état de cause, quelle que soit l’issue de l’affaire, cela ne signifie pas pour autant le blocage du projet, et encore moins son arrêt», assure-t-on. Ainsi et en vue d’un fonctionnement du site en 2025 à titre expérimental , l’Andra va déposer l’an prochain la demande d’autorisation de création (DAC) du projet.

Pour l’heure, l’agence doit néanmoins faire face à la paralysie du chantier en cours. Les travaux préparatoires qu’elle doit à tout prix mener dans le bois Lejuc ne peuvent avoir lieu. Des occupants qui s’y sont installés depuis plus mois empêchent à chaque fois les pelleteuses de fonctionner. Le tribunal que l’Andra a saisi se prononcera le 5 avril prochain sur d’éventuelles expulsions.