LA RÉGRESSION ACCÉLÉRÉE DU DROIT DE L’ENVIRONNEMENT

Reporterre – le 6 décembre 2016 :

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Le livre du juriste Gabriel Ullmann est essentiel car il révèle une tendance lourde et inquiétante : les grands principes du droit de l’environnement sont peu à peu remis en question par des réformes actant un recul constant des contraintes subies par l’industrie.

Voici un ouvrage essentiel écrit par un juriste qui n’est pourtant pas universitaire et dont la connotation critique est remarquable : il associe une connaissance exhaustive de la matière avec une capacité d’analyse allant au-delà du positivisme traditionnel des juristes commentateurs de textes.

L’analyse des textes adoptés en droit de l’environnement depuis une dizaine d’années est menée de façon à la fois savante et impitoyable. Elle souligne le sens politique des réformes adoptées. Face à la fonction contraignante du droit de l’environnement, les gouvernements successifs, et en particulier celui de la majorité socialiste, se sont efforcés d’assouplir systématiquement les dispositions de prévention et de protection au profit de l’industrie et du monde économique, et ceci au nom d’une supposée « simplification » qui, paradoxalement, n’a fait que contribuer un peu plus à l’obésité du code de l’environnement, devenu illisible pour le simple citoyen.

Le plus grave concerne les atteintes au droit au recours contentieux, fondement de l’État de droit

Car, derrière ces réformes successives qui alimentent l’obsolescence de ce droit, il y a un postulat idéologique implicite, à savoir que la régression du droit de l’environnement doit permettre de « libérer la croissance », dont les taux stagnent depuis de nombreuses années pour des raisons tout autres que juridiques.

En fait, tous les acquis constituant les grands principes du droit de l’environnement ont été insidieusement remis en question par des réformes d’apparence parfois technique, mais actant toujours un recul des contraintes subies par l’industrie. Qu’il s’agisse des règles préventives comme celle de l’autorisation préalable remplacée par celle de l’enregistrement et de la déclaration, de l’évaluation d’impact environnemental préalable à tout projet d’aménagement dont le champ d’application a été restreint, des procédures d’information du public et de participation, du principe de non-rétroactivité des actes administratifs interprétés comme conférant des droits acquis aux exploitants ou encore des réformes successives de la nomenclature des installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE), tout va dans le même sens, à savoir donner de l’air au monde économique en dehors de toute considération effective de protection de l’environnement.

Mais le plus grave concerne les atteintes au droit au recours contentieux, fondement de l’État de droit. Ce droit, reconnu depuis longtemps par la loi et la jurisprudence, est l’objet de restrictions de natures diverses visant à empêcher les administrés de saisir la justice administrative pour faire annuler des décisions administratives jugées illégales par les requérants. Le raccourcissement du délai de recours contentieux de 4 ans à l’origine à 2 mois en matière d’ICPE en constitue un bon exemple, comme l’est, en droit de l’urbanisme, l’interdiction de saisine du juge administratif par les associations constituées après la date de délivrance d’une autorisation d’urbanisme.

Un signal d’alarme qui doit faire réfléchir ceux qui prennent au sérieux le combat écologique

En droit de la protection de la nature, il en va de même avec la multiplication des autorisations de destruction d’espèces protégées liées à des projets d’aménagement déclarés d’utilité publique comme dans l’affaire du projet de Notre-Dame-des-Landes, et ceci en violation manifeste du droit européen.

Malgré le principe de non-régression du droit de l’environnement acté récemment par la loi relative à « la reconquête de la biodiversité » (!), la pratique administrative et jurisprudentielle va à l’opposé !

Le processus de démembrement actuel du droit de l’environnement, à l’heure des discours ronflants des COP21 et 22, est un signal d’alarme qui doit faire réfléchir ceux qui prennent au sérieux le combat écologique mené en Europe depuis quarante ans.

Plus que jamais, au fur et à mesure de l’aggravation de la crise écologique, la schizophrénie provoquée chez nos dirigeants par la religion du développement technique et économique à tout prix deviendra intenable.

LA LOI SUR LE DEVOIR DE VIGILANCE DES MULTINATIONALES ENFIN ADOPTÉE

Amnesty International – Publié le 21.02.2017 :

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Lancement de « faitespaslautruche », une campagne qui appelle les citoyens à soutenir son combat pour le respect des droits humains par les entreprises multinationales. Des représentants d’Amnesty International se sont ainsi rendus en des lieux symboliques, pour exiger des normes plus contraignantes vis-à-vis des entreprises. 23/09/2014 – Photo © Pierre-Yves Brunaud / Picturetank pour Amnesty International

L’Assemblée nationale a définitivement adopté la loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères et entreprises donneuses d’ordre après 4 ans de parcours législatif. Une avancée historique.


Mise à jour 24/03/2017 : L’obligation légale validée par le Conseil Constitutionnel A la suite de saisines de parlementaires Les Républicains, le Conseil constitutionnel a rendu sa décision le 23 mars sur la loi relative au devoir de vigilance. Bien qu’il ait jugé contraire à la Constitution l’amende contenue dans ce texte, l’essentiel du mécanisme est conservé : il sera bien possible pour les victimes, associations et syndicats, de saisir le juge pour faire respecter cette nouvelle obligation et exiger la publication ainsi que la mise en œuvre de manière effective d’un plan de vigilance. Ce plan devra contenir des informations sur les activités des filiales, sous-traitants et fournisseurs des sociétés mères et les mesures prises par celles-ci pour prévenir les risques liés aux droits humains. Un pas historique qui permettra une meilleure protection des droits humains et de l’environnement, en France comme à l’étranger.


Ce texte marque une avancée pour le respect des droits humains par les multinationales. Il est temps désormais que les pays européens et la communauté internationale s’inspirent de cette disposition et développent des législations qui vont dans le même sens. Il y a cinq ans, le candidat Hollande déclarait vouloir « que soient traduits dans la loi les principes de responsabilité des maisons-mères vis-à-vis des agissements de leurs filiales à l’étranger lorsqu’ils provoquent des dommages environnementaux et sanitaires ». Cette loi sera donc finalement l’une des dernières lois adoptée sous son quinquennat.

4 ANS DE PARCOURS LÉGISLATIF

6 Nov. 2013 : dépôt d’une première version de la proposition de loi
29 Janvier 2015 : Examen d’une première version de la loi à l’Assemblée Nationale
11 Février 2015 : Dépôt d’une deuxième version à l’Assemblée Nationale
18 Novembre 2015 : Examen de la 2eme version en 1ere lecture à l’Assemblée Nationale
18 Novembre 2015 : Examen en première lecture au Sénat
23 Mars 2016 : Examen en 2eme lecture à l’Assemblée Nationale
13 octobre 2016 : Examen en 2eme lecture au Sénat
2 Novembre 2016 : Commission mixte paritaire (entre l’Assemblée Nationale et le Sénat)
29 Novembre 2016 : Nouvelle lecture à l’Assemblée Nationale
1 Février 2017 : Nouvelle lecture au Sénat
21 Février 2017 : Lecture définitive à l’Assemblée Nationale

Les victimes pourront porter plainte

Ce texte exige des grandes entreprises qu’elles publient et mettent en œuvre un plan de vigilance devant indiquer les mesures établies par l’entreprise pour identifier et prévenir la réalisation de risques d’atteintes aux droits humains et aux libertés fondamentales, y compris chez ses sous-traitants et fournisseurs.

La responsabilité civile des entreprises pourrait ainsi être engagée par des victimes ou des associations devant un juge français en cas de défaut de plan ou de manquement à sa mise œuvre effective. C’est là un véritable accès des victimes à la justice.

Une loi qui aurait pu aller plus loin

Cette loi aurait pu toutefois être plus ambitieuse. En effet, une centaine de grands groupes seulement sont couverts par le texte, ce qui créé un effet d’entraînement très limité. Et, le lourd travail de preuve reviendra toujours aux demandeurs, c’est-à-dire aux victimes, qui parfois ne disposent pas des outils suffisants pour le faire (éloignement des grands centres urbains, illettrisme, manque de formation juridique, etc.). Nous aurions voulu que le texte permette un « renversement de la charge de preuve » et laisse à l’entreprise l’obligation de prouver sa non-culpabilité.

Pour autant, ce texte représente un grand intérêt et nous craignons désormais qu’elle soit attaquée par des détracteurs devant le Conseil constitutionnel, ce qui serait extrêmement dommageable. Nous nous attacherons à suivre de près ces évolutions.

LA LOI SUR LA BIODIVERSITÉ REFLÈTE UNE VISION UTILITARISTE DE LA NATURE

Reporterre – le 31 août 2016 :

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Promulguée le 8 août, la loi Pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages semble dérisoire à l’auteur de cette tribune au regard de l’ampleur planétaire de l’extinction des espèces.

Si la loi reconnait le principe du « préjudice écologique », elle ouvre la porte à la compensation, qui est « en pratique un droit à détruire ».

L’objet de cette loi, en date du 8 août 2016, est relatif à « la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages », rien moins ! Il faut souligner ici le terme de « reconquête », dont la prétention est quelque chose d’extraordinaire au regard du désastre en cours, alors qu’il aurait fallu plutôt parler plus modestement de lutte contre les causes de dégradation. Mais déjà, se focaliser sur les causes, c’est commencer une démarche difficile à imaginer en raison des enjeux sociétaux et économiques qui se cachent derrière un tel texte. L’expérience de ces dernières années montre, de ce point de vue, que l’on ne peut prétendre protéger la nature sans remise en question de l’imaginaire collectif relatif à la croissance et sans porter atteinte aux intérêts économiques dominants.Plusieurs remarques d’ordre juridique sont à faire avant d’aborder le contenu même de la loi. Une fois de plus, les auteurs tombent dans le travers quantitatif propre à la majorité des textes adoptés depuis quelques années. La loi ne compte pas moins de 174 articles, dont certains apparaissent fort longs et difficiles à lire. Comme si l’importance du sujet exigeait cette dérive quantitative alors que, comme jadis, les textes de loi brefs et concis devraient privilégier leur compréhension et leur appropriation par les administrés. Il y a là une conception bureaucratique de la loi qui tient de la circulaire et tombe dans le travers de ce que le Conseil d’État appelle à juste titre « le droit bavard ».

Des détails insignifiants sont privilégiés qui ne relèvent pas de la loi et ceci au détriment de la rigueur intellectuelle des concepts juridiques fondant les règles de droit. On peut citer à cet égard par exemple l’interdiction des cotons-tige à partir de 2020 par l’article 124 alors qu’aucune disposition législative du Code de l’environnement n’interdit les emballages inutiles.

Une conception utilitariste et anthropocentrée de la nature

En ce qui concerne le contenu même de ce texte, il faut souligner son côté assez dérisoire au regard de l’ampleur planétaire de la chute de la biodiversité qui constitue un processus sans précédent d’extinction massive des espèces vivantes sur Terre.

Les fameux principes formulés à l’article 1 modifiant l’article L.110-1-II sont les plus importants dans ce texte, mais n’ont souvent aucune valeur normative, tel celui des « services » (sous-entendu à l’économie) rendus par la nature, qui relèvent d’une conception purement utilitariste et anthropocentrée de cette dernière. Son corollaire paradoxal voudrait que les éléments de la nature qui ne rendent aucun service n’aient pas à être protégés !

Par contre, la phrase : « éviter les atteintes à la biodiversité et aux services qu’elle fournit ; à défaut, en réduire la portée ; enfin, en dernier lieu, compenser les atteintes qui n’ont pu être évitées ni réduites, en tenant compte des espèces, des habitats naturels et des fonctions écologiques affectés » constitue un principe ayant une vraie valeur normative, surtout dans la mesure où elle est complétée par la suivante : « ce principe doit viser un objectif d’absence de perte nette de biodiversité, voire tendre vers un gain de biodiversité ». Cette disposition est d’autant plus importante qu’elle est précisée par un alinéa de l’article 69 introduisant dans le Code de l’environnement un article L.163-1 qui précise que « si les atteintes liées au projet ne peuvent être ni évitées, ni réduites, ni compensées de façon satisfaisante, celui-ci n’est pas autorisé en l’état ». Il s’agit là d’une précision déterminante, comportant compétence liée pour les autorités chargées d’un projet et qui alimentera inévitablement un contentieux déclenché par les opposants aux fameux « grands projets inutiles et imposés ».

Des agents de l’Office national de l’eau et des milieux aquatiques évaluent les populations de poissons présentes dans l’Oise, en 2011. À partir des prises réalisées, ils calculent l’indice poisson rivière pour mesurer l’état écologique des rivières.

 

Subsiste toutefois la notion de « compensation », qui ouvre la porte à toutes les interprétations et à justifier en pratique un droit à détruire. Cette notion est un non-sens en écologie, puisqu’elle suppose que les éléments de la nature soient interchangeables. Il y a là une vision technocratique des processus écologiques

qui vise en fait à permettre de gré ou de force la réalisation de projets affectant l’environnement, comme l’expérience acquise dans ce domaine l’a déjà démontré. À la rigueur, il pourrait y avoir compensation de la destruction d’un milieu naturel s’il s’agissait de renaturaliser une portion inutilisée d’autoroute ou un parking de supermarché, mais ce genre d’hypothèse a été écartée dès le départ !

Il reste par ailleurs comme principe politique important celui de la non-régression du droit de l’environnement. Le problème est que l’expérience de ces dernières années a au contraire démontré la régression de ce droit en conflit permanent avec les intérêts économiques dans de nombreux domaines, en particulier en matière d’installations classées, comme l’a fort bien montré Gabriel Ullman dans sa somme récemment publiée [1]. C’est pourquoi on peut douter de l’effectivité pratique de ce principe, comme cela a été le cas du principe de précaution.

Par contre, la loi reconnaît clairement le préjudice écologique dont l’obligation de réparation est désormais inscrite aux articles 1386-19 et suivant du Code civil. Déjà constatée par la jurisprudence de la Cour de cassation, l’existence de cette obligation aurait dû être depuis longtemps reconnue par la loi.

Peu de nouveautés concernent les paysages

Concernant les dispositions de cette dernière relative à la gouvernance, c’est-à-dire à l’organisation institutionnelle de la protection de la nature, elles occupent une place importante dans ce texte avec une prolifération d’organismes consultatifs qui risque de provoquer des conflits de compétences. Mais de nombreuses dispositions concernent la création de l’Agence française de la biodiversité comme établissement public administratif chargée de la gestion et de la restauration de la biodiversité. Elle récupère les compétences de l’Onema (Office national de l’eau et des milieux aquatiques) et les aires marines protégées. Ces dispositions multiples confirment le processus de bureaucratisation de la protection de la nature au même titre que les institutions locales chargées de la biodiversité.

Des dispositions importantes concernant la protection du milieu marin et surtout certaines relatives à la lutte contre la pollution ont reçu un écho médiatique important, comme l’interdiction future de certains pesticides comme les néocotinoïdes, mais il n’est pas précisé que cette interdiction (valable à partir de 2018) s’applique à de nouveaux produits tout aussi nocifs pour les insectes pollinisateurs (art.125 de la loi).

Malgré le titre de la loi, peu de nouveautés concernent les paysages, mais on apprend avec bonheur qu’enfin les allées d’arbres sont protégées (nouvel article L.350-3 du Code de l’environnement). Par contre, la protection du bocage ne fait l’objet d’aucune disposition particulière alors qu’il joue un rôle essentiel en matière de biodiversité en milieu agricole.

De là un texte dont il ne faut surtout pas attendre des miracles et qui de toute manière fera rapidement l’objet de modifications en fonction de la conjoncture politique, illustrant par là le règne du « droit liquide » !