Un statut de salarié de luxe de TF1. Nicolas Hulot ne s’en cache pas et ne prétend « pas être l’abbé Pierre ». Comment pourrait-il être cachotier, du reste ? Depuis son entrée en semi-campagne, la presse a largement ébruité son salaire : 30 000 euros mensuels pour quatre numéros d’« Ushuaïa » par an qui, de son propre aveu, ne lui demandent chacun qu’ « un mois de travail préparatoire » . Il dispose donc de huit mois sur douze pour vaquer à ses occupations, organiser ses conférences (quatre à cinq par mois en temps ordinaire), rédiger ses livres et prêcher la bonne parole écologique en s’appuyant sur sa fondation, reconnue d’utilité publique depuis le 1er août 1996 (grâce à Jacques Chirac). Dans la catégorie des animateurs salariés de la Une, la star écolo ne crève pas le plafond. Par exemple, son camarade Benjamin Castaldi, lui aussi salarié en CDI, touche 45 000 euros par mois (Hulot défraie moins la chronique people et intéresse moins les hebdos télé).
« Ushuaïa », une des émissions les plus chères du PAF. Cependant – et c’est là toute l’astuce du contrat de salarié de Nicolas Hulot -, c’est avec les produits dérivés de l’émission qu’il s’enrichit. L’écolo des plateaux ponctionne 5,25 % des royalties empochées par TF1 sur les produits licenciés Ushuaïa, soit 99 750 euros l’an passé. En quinze ans, une quinzaine de sociétés se sont emparées de cette licence pour stimuler leurs ventes. De 1992 à 1997, quatorze contrats représentant 91 millions d’euros de chiffre d’affaires ont été signés. Les 45 000 habitants de cette ville de Patagonie seraient sans doute hallucinés en découvrant que le nom de leur cité portuaire aux confins de l’Amérique latine se décline, pêle-mêle, en cosmétiques chez L’Oréal, en montres, en puzzles, en jumelles, en papeterie avec Quo Vadis, en électronique grand public avec Lexibook, en vêtements chez Rhonetex, en lunettes chez Atol… Aujourd’hui, une soixantaine de produits dérivés circulent ainsi dans le sillage de la renommée de l’athlétique animateur de TF1 attirant une clientèle de moins de 35 ans, à majorité féminine, portée sur les valeurs d’extrême et de nature, associant ce nom à 37 % à la couleur bleue (comme par hasard, la couleur dominante de TF1), à 20 % au bruit des vagues et 17 % aux senteurs de vanille, selon l’étude de Gérard Warin et Annie Tubiana (« Marques sous licence », Editions d’Organisation). Bleu, vague, vanille, vive le gel douche ! Résultat de l’opération : TF1 récolte 1,9 million d’euros net par an grâce aux produits sous licence Ushuaïa. Un pactole qui ne permet pourtant à la chaîne que de financer un seul numéro de l’émission… Tournée en extérieur, à l’étranger, avec une grosse équipe (le réalisateur perçoit 38 000 euros), « Ushuaïa » fait partie des émissions les plus chères du PAF : 1,3 million d’euros par numéro, soit l’équivalent d’une fiction inédite. Impossible à amortir.
Tel est le prix à payer pour ce rendez-vous de prestige, destiné à redorer le blason de la Une. L’économie d’« Ushuaïa » n’est pas simple pour les patrons de TF1 : contrairement à un épisode de « Julie Lescaut », la rediffusion n’est pas envisageable. Alors, la Une se rabat sur la revente des images aux télévisions étrangères. Mais, là aussi, la source s’est un peu tarie au fil du temps. Si bien que TF1 court après les subventions publiques, si modiques soient-elles. Ainsi, en juillet dernier, le CNC lui a accordé 950 euros pour le sous-titrage en anglais, 600 euros pour reformater l’émission aux canons étrangers et 500 euros pour réaliser les plaquettes de vente de l’émission… Moralité : le seul vrai gagnant du deal TF1/« Ushuaïa », c’est Hulot !
« Il y a eu des années fastes et d’autres moins » , reconnaît Nicolas Hulot, intéressé aux résultats par le biais des droits d’auteur qu’il a pris soin de ranger à part de son compte en banque personnel. Une stratégie fiscale assez commune dans les milieux artistiques. Dès 1990, il fonde Eole Conseil, une SARL sise au 53 de la rue Boissière, à Paris, dont il devient gérant et principal actionnaire. Eole Conseil engrange ses droits.
4 x 4 Peugeot griffée « Ushuaïa ». Cette enveloppe sociétale ne dépose plus ses comptes depuis 2003. A l’époque, la petite SARL affichait un chiffre d’affaires de 619 687 euros et 240 247 euros de résultat net. Cela dit, quels que soient les montages juridiques, la notoriété attire les contrôleurs fiscaux plus sûrement que n’importe quel appeau. « Comme le délit de sale gueule, il existe le délit de vedettariat. Connu = suspect. J’ai donc subi trois contrôles fiscaux (sans un centime de redressement) » , écrivait-il, en 1998, dans « A mes risques et plaisirs », un ouvrage autobiographique paru chez Plon.
Les bouquins justement, c’est sa dernière manne : dix-huit ouvrages (dont trois collectifs) recensés depuis 1976, répartis chez Plon, PAC, Michel Laffon, Lattès, Le Cherche Midi, le Seuil, Albin Michel, La Martinière. Son premier best-seller remonte à 1989. Ses « Chemins de traverse » (Lattès), où il s’épanche sur son enfance, franchit allègrement les 150 000 exemplaires et se décline en format de poche et en club.
Mais c’est chez Calmann-Lévy qu’il réalise ses plus belles ventes. En 2004, « Le syndrome du « Titanic » » atteint 162 000 exemplaires vendus. Un pactole estimé à 385 000 euros pour Nicolas Hulot. Avec ce seul ouvrage, il double ses gains de salarié. Cette année, son « Pacte écologique », ouvrage collectif signé avec le Comité de veille écologique, galope au-delà des 130 000 exemplaires (pour 168 000 ouvrages imprimés). La totalité des droits d’auteur du livre seront versés à la Fondation Nicolas Hulot. Derrière ces deux succès, une vieille connaissance de l’animateur : Ronald Blunden, l’ancien directeur de la communication de TF1, revenu à l’édition, ses premières amours. « Nicolas est mon ami , dit-il. Je suis moi-même actif sur le principe du « Pacte écologique ». Je sentais monter dans le pays des inquiétudes. Je ne suis pas surpris par le score du livre, qui devrait terminer sa carrière vers les 200 000 ventes. »
Mais les dérapages de la griffe Ushuaïa causent aussi quelques ennuis à l’animateur-écolo. Son image fut écornée lors de la commercialisation en 2003 d’un 4 x 4 Peugeot-Partner Ushuaïa (75 à 110 chevaux). Idem lorsque des bâtonnets d’encens Ushuaïa furent déclarés cancérogènes et retirés de la vente. Récemment, c’est Greenpeace qui dénonce la présence de phtalates (un additif chimique controversé) dans le gel douche décliné de l’émission… En principe, le contrat de licence est clair : Nicolas Hulot n’a pas son mot à dire ; TF1 agit à sa guise, sans même avoir à consulter son poulain. « Dans les faits, je suis intervenu plusieurs fois et TF1 m’a toujours suivi , corrige l’animateur. Par exemple, sur le 4 x 4, j’ai dit « stop » et la licence a été retirée. Concernant les phtalates dans le gel douche, je ne m’en fiche pas, et j’ai de très bonnes relations avec Greenpeace. Je servirai de relais à leurs préoccupations et plaiderai auprès de L’Oréal pour l’application du principe de précaution. » Contacté par Le Point, L’Oréal n’a pas souhaité répondre.
Être dedans plutôt que dehors, combattre de l’intérieur plutôt que de s’enchaîner aux grilles, c’est toute la philosophie de ce grand adolescent de 51 ans, éternel crapahuteur, épris de sensations fortes comme lors des compétitions de moto qui ont marqué sa jeunesse. « La moto, ça pollue ! La télé, ça rend c… ! » cognent ses détracteurs les plus virulents (recrutés chez les ultras de la décroissance) qui n’ont jamais trouvé crédible ce « Tintin de la cambrousse stipendié par TF1 » .
Un procès injuste. « Cet argent, je n’en ai pas honte, car je ne l’ai pas volé , plaide Hulot, heureux propriétaire d’une belle demeure sur les hauteurs sauvages de Corsignatto (Corse-du-Sud), un terrain acquis en septembre 1994. Justement, ce confort m’a mis dans l’obligation de donner du sens à ma vie. L’argent, ça crée des responsabilités vis-à-vis de la communauté. D’où ma fondation et mon dévouement totalement bénévole pour elle. »
Un partenariat critiqué : EDF. La fondation, c’est l’autre vie de Nicolas Hulot. On en parle moins si ce n’est pour critiquer le soutien d’EDF, « l’une des entreprises les plus polluantes de France », admet Cécile Ostria, sa directrice, qui règne avec convivialité sur une vingtaine de permanents jouissant d’un fonds de 6,4 millions d’euros. Sa vocation principale ? Inciter, par la pédagogie, chacun d’entre nous à respecter l’environnement dans ses gestes quotidiens. D’où l’existence d’une « école Nicolas Hulot » (voir encadré p. 44) . La fondation a obtenu la reconnaissance d’utilité publique au sacrifice de son nom d’origine qui comportait le mot Ushuaïa, considéré comme une marque commerciale. EDF est le seul partenaire historique depuis la création. L’Oréal a rejoint la fondation en 1995. TF1, le troisième pilier, n’est entré qu’en 2001. Rhône-Poulenc a laissé tomber lorsque la société est devenue Aventis… En dehors de ces trois mécènes principaux – qui siègent au conseil d’administration et injectent 2,7 millions d’euros par an -, la fondation compte des partenaires sur des programmes spécifiques, lesquels signent pour trois ans : la Société générale et IP Télécom soutiennent les actions sur la mer, ASF (Autoroutes du sud de la France) finance les actions en faveur de la biodiversité, Valorplast (récupération de plastique) et Bouygues Télécom se sont engagés sur le changement climatique. Enfin, quelques PME (les Cheminées Seguin, Culture Vélo, SBS) ou la Caisse des dépôts sont présentes sur des actions à plus court terme.
Hulot n’est pas dupe : « Je n’entretiens aucune illusion sur les raisons de leur partenariat », écrit-il dans « A mes risques et plaisirs ». Il se sait instrumentalisé, mais c’est du donnant-donnant. Ceux qui ont poussé le bouchon trop loin sont partis. Monoprix, par exemple, estimait que les médias ne relayaient pas assez son partenariat. Un lessivier souhaitait obtenir le label « Fondation Nicolas Hulot » sur un procédé de lessive à froid. Hors de question. En juin, c’est la Marque Repère des magasins Leclerc qui claque la porte pour la même raison : impossible de faire du commerce sous l’étiquette « Hulot ».
Les sponsors privés peuvent aussi donner en nature. TF1 concède ainsi pour 429 000 euros de spots publicitaires, l’afficheur JC Decaux 204 000 euros, NRJ 100 000 euros… L’Etat se trouve à la remorque : 805 105 euros de subventions en 2005, dont 100 000 euros votés par les députés, 80 000 euros du ministère de l’Education nationale, 29 611 euros de la DRAC Aquitaine. « La part des subventions est légère (12 %), c’est voulu ! insiste Nicolas Hulot. Le contribuable paie assez souvent comme ça. »
Tout cet argent n’aura pas été investi pour rien si l’on en croit les sondages : 87 % des Français ont une bonne opinion de l’animateur, selon le baromètre Ifop du 7 décembre. Classé pour la première fois, Hulot pulvérise le record de l’enquête Ifop. Au même moment, on apprend que TF1 réduit le nombre d’émissions « Ushuaïa Nature » de quatre à trois numéros par an. Une sanction ? Une réprobation de son engagement politique ? « Non, la décision est prise depuis le printemps, époque où Nicolas ne parlait pas de présidentielle » , répond TF1. Hulot confirme en laissant percer ses regrets. Prosaïquement, la chaîne dirigée par Patrick Le Lay resserre les cordons de la bourse. Tant pis pour les 7 millions d’amoureux de la nature qui la regardent, mais « Ushuaïa » n’est pas rentable. Les tribulations audiovisuelles de Nicolas Hulot coûtent décidément trop cher…